Entretien avec Ash Mayfair

La Troisième femme est réalisé par la Vietnamienne Ash Mayfair. Sélectionné à Toronto, Busan et San Sebastian, ce drame historique est sorti ce mercredi 19 août dans les salles françaises. Il raconte l’histoire d’une jeune adolescente qui devient la troisième épouse d’un riche propriétaire dans le Vietnam du 19e siècle. Mayfair y fait preuve d’un sens visuel prometteur. Elle est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de La Troisième femme ?

Le film est basé sur mon histoire familiale. Mon arrière-grand-mère s’est mariée à 14 ans et faisait partie d’une famille polygame. Je vivais avec ma grand-mère et beaucoup de femmes dans ma famille m’ont transmis cette histoire.

Comment avez-vous travaillé sur l’écriture d’un film où l’histoire est racontée essentiellement sans dialogues ?

Ça a toujours été mon intention, dès le départ. Avec ce film, j’ai voulu célébrer la force visuelle du cinéma avant toute autre méthode de narration. Par ailleurs, c’est une allusion délibérée au fait que les femmes vietnamiennes de cette époque avait très peu l’occasion de s’exprimer vocalement dans la société. Le silence est devenu un moyen de résistance pour elles. Donc même si j’ai écrit un scénario classique pour me préparer ainsi que l’équipe au tournage, une fois sur place, beaucoup de scènes sont venues par improvisation et la plupart des dialogues du script original sont devenus superflus.

L’utilisation des lumières et des couleurs joue un rôle important dans l’atmosphère et dans le récit. Comment avez-vous abordé le style visuel de La Troisième femme ?

L’eau est un élément important dans le film et un symbole crucial dans l’histoire. J’ai dit à mon directrice de la photographie Chananun Chotrungroj que je souhaitais que chaque plan ait l’air d’être une aquarelle. Nous avons pris la décision d’utiliser pratiquement tout le temps la lumière naturelle – celle des lanternes lors des scènes nocturnes, les rayons du soleil durant la journée. Il y a eu très peu de lumière artificielle sur le plateau, ce qui signifiait que nous étions très dépendants de la lumière du jour et de la météo dans notre planning de tournage.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur Between Shadow and Soul, votre version muette et en noir et blanc de La Troisième femme ?

Cette version est née d’un processus très organique. Quand je travaillais sur le classement des couleurs avec mon coloriste Yov Moor, j’ai vu une photo de tournage du film, en noir et blanc. Quelque chose m’a frappée, ce visuel m’a semblé intéressant et intemporel. Nous avons donc commencé à expérimenter sur certaines séquences. Nous avons décidé qu’un traitement en noir et blanc était nécessaire. Lorsque nous avons commencé à travailler là-dessus, il était très clair que cette version exigeait une partition complètement nouvelle et aucun dialogue.

Pour moi, Between Shadow and Soul est une expérience cinématographique différente parce qu’elle ressemble plus à une œuvre d’art visuel, pas à un film narratif traditionnel. Idéalement, je voudrais que cette version soit jouée dans un espace où les gens peuvent se promener dans et hors de la salle, qu’ils puissent saisir de brefs moments de curiosité ou de beauté par l’image et la musique, une paix émotionnelle qu’ils peuvent accueillir en eux. Le scénario devait disparaître à l’arrière-plan. Il est important que seuls les sentiments demeurent.

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

La réponse à cette question (et celle-ci : quelles sont vos influences ?) est pratiquement impossible pour moi. J’adore des films de tous les genres et de toutes les nationalités. J’adore des conteurs qui sont curieux à la fois du monde physique et des paysages intimes de l’expérience humaine, pas seulement au cinéma mais aussi sur scène, dans les livres, la peinture, la musique, les arts visuels, les jeux vidéos…

Pour vous offrir une réponse plus concrète, beaucoup de mes contemporains m’inspirent, en particulier les réalisatrices qui ont réussi à initier un changement dans l’industrie. Ava Duvernay fait un travail incroyable aux États-Unis pour soutenir les jeunes réalisatrices. Nadine Labaki a été ma mentor pour La Fabrique Cinéma de Cannes cette année et nous avons eu une conversation très franche sur la féminité et la maternité ainsi que les défis que doivent relever les femmes cinéastes. Cathy Yan était une de mes camarades de classe à NYU et la première réalisatrice asio-américaine à diriger un film de super-héros à gros budget. Toutes ces femmes sont incroyablement inspirantes. Chaque jour, elles me rappellent que nous avons du travail à faire.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Pratiquement tous les jours. Récemment, j’ai regardé ma sœur de 12 ans créer un jeu vidéo et j’étais admirative. Elle a codé l’ensemble du jeu et conçu tout le graphisme. Cette semaine j’ai vu en un sculpteur sur bois exercer en streaming devant des milliers de personnes coincées en quarantaine à travers le monde et c’était l’une des choses les plus saines et thérapeutiques que j’aie jamais vues. J’apprends tellement juste en regardant les autres s’immerger dans leurs passions. Je pense que regarder les humains est ma passion. Je crois que chaque personne que nous rencontrons dans la vie aura toujours quelque chose de nouveau à nous offrir.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 19 août 2020. Un grand merci à Florence Alexandre. Crédit portrait : Chananun Chotrungroj.

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