Festival de Séville | Critique : X&Y

Une artiste engage des acteurs célèbres pour une expérience: une exploration de l’identité masculine et féminine.

 

X&Y
Suède, 2018
De Anna Odell

Durée : 1h52

Sortie : –

Note :

AFFOLÉ AFFOLANT

C’est peu dire qu’on attendait impatiemment des nouvelles de l’inclassable réalisatrice suédoise Anna Odell (lire notre entretien), révélée il y a six ans avec son premier film, The Reunion (inédit en salles mais passé par La Roche-sur-Yon). Entamé comme une expérience narrative intime et hors-normes, parlant de violence sociale et de fragilité psychologique avec une honnêteté brutale, ce drôle d’objet cinématographique avait connu un improbable retentissement, au point de finir par remporter l’équivalent suédois du César du meilleur film. Contre toute attente, cette jeune artiste qui se faisait initialement traiter de folle était devenu une célébrité. Au point, d’ailleurs, de pouvoir cette fois-ci embarquer avec elle un casting d’acteurs scandinaves connus. Mais dans quelle direction aller après avoir réalisé un ovni ?

Dès la première scène, Anna apparait dans son propre rôle. Elle explique aux acteurs et actrices du film (également dans leur propres rôles, ou presque) les règles de l’expérience intense qu’elle souhaite faire avec eux : un défi en forme d’exploration ludique des identités masculines et féminines. X&Y se déroule intégralement dans un hangar aménagé où vont vivre la réalisatrice et ses interprètes. Un entrepôt coupé du monde, souvent filmé de haut comme un labyrinthe pour souris de laboratoire, ou comme une radio du propre cerveau de l’artiste. Chaque comédien se voit attribuer le rôle d’un aspect précis de la personnalité de la réalisatrice, indépendamment de leur sexe (la grande Trine Dyrholm y est d’ailleurs plus butch que jamais). Anna va donc vivre en colocation avec ses doubles, et dès les premières minutes de ce postulat génialement absurde, on se croirait dans un improbable remake de Vice-versa par Brecht et Gondry.

Quelle jubilation de voir un film commencer sur des bases aussi gonflées, et de le voir se construire sous nos yeux. X&Y est comme un pétard dont on verrait la mèche allumée se consumer avec suspens, en se demandant d’où va venir l’explosion. Ce n’est sans doute pas un hasard si le film s’ouvre sur une citation de la plasticienne et musicienne expérimentale Laurie Anderson. Anna Odell est elle aussi une tête brulée (« tu ne sais pas faire la différence entre l’art et l’absence de limites« , lui reproche-t-on), et à son image, X&Y est un film sans garde-fou. C’est à dire sans peur du ridicule (une qualité en or) mais aussi sans scénario pré-établi, pour le pire et le meilleur. On retrouve dans les meilleurs moments un vertige similaire à celui d’Out 1, le méta-film entièrement improvisé de Jacques Rivette. Un vertige grisant, mais qui menace par moments de devenir épuisant.

Anna répète à ses comédiens qu’elle ne sait pas où son film va – or leur frustration est parfois aussi la nôtre. Qu’est-ce que la cinéaste cherche vraiment à dévoiler au fond ? Le sait-elle ? Si X&Y se disperse forcément plus que The Reunion, il offre en revanche une très plaisante nouveauté : de l’humour. Odell fait preuve d’un recul salvateur sur elle-même et son entreprise à la fois égocentrique et titanesque, vouée à un naufrage à la fois public et intime. Il faut la voir avec ses grands yeux nerveux, prise dans les phares de sa propre prise de tête analytique, telle une Miranda July inquiétante, alors que son expérimentation finit – c’est un comble et l’un des meilleurs gags du film – par raconter la plus basique des histoires de fesses (offrant au passages des scènes particulièrement tordues où la cinéaste couche avec un acteur censé jouer… son rôle à elle).

Dans son précédent film Odell se demandait d’où naissait la violence, et comment vivre avec. La panique a semble-t-il monté d’un cran : c’est comme si elle nous disait ici que toute tentative pour tenter d’apprivoiser l’angoisse existentielle est vaine. Et que derrière toute volonté d’explication (par l’art, la thérapie), il n’y qu’une absurdité risible. Les échos au théâtre de distanciation allemande étaient une fausse piste, X&Y se situe davantage dans la lignée du théâtre de l’absurde de Ionesco : conceptuel et bouffon, drôle et affolé à la fois.

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par Gregory Coutaut

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