Festival de Mannheim-Heidelberg | Critique : Tu me ressembles

En banlieue parisienne, deux sœurs se retrouvent séparées. Hasna, l’aînée, lutte pour trouver son identité. 

Tu me ressembles
Égypte, 2021
De Dina Amer

Durée : 1h30

Sortie : –

Note :

LA FRANCE

Produit entre autres par Spike Lee, Spike Jonze et Alma Har’el, Tu me ressembles est le premier long métrage de l’Égyptienne Dina Amer (lire notre entretien) – et quel long métrage. Le film raconte dans un premier temps le quotidien de deux sœurs, deux jeunes filles de banlieue parisienne à qui la vie (ou plutôt la France) ne fait pas de cadeau. Un film d’archives montre des cités en France, de glorieuses images de la victoire lors de la Coupe du Monde 98 se mêlent à celles des affrontements avec la police… Les enfants, eux, sont priés de chanter la Marseillaise.

Il y a de prime abord quelque chose de brut dans Tu me ressembles, une aspérité qui rapidement donne de la force au récit. Hasna grandit, tant bien que mal, et est à la recherche de son identité. Elle sait qu’elle a deux visages à donner à la société française, selon son interlocuteur, qu’il s’agisse d’un client ou d’un employeur. « Je sais qui je suis » assure-t-on mais il y a déjà là à l’œuvre une première violence insidieuse. Il y a de quoi perdre la tête quand on est une jeune femme racisée, musulmane et pauvre dans cette France-là, dont le drapeau flotte pourtant fièrement auprès de la statue de Jeanne d’Arc.

Ce n’est pas trop en dévoiler que de dire que Tu me ressembles utilise à un moment du récit une grosse ellipse ; celle-ci est particulièrement gonflée et elle marche. Ça ne fait pas peur à Dina Amer (on ne sait pas, en voyant un film aussi téméraire, ce qui peut bien l’effrayer). Et la structure narrative sort grandie de cette ellipse. Amer fait preuve de beaucoup de talent d’écriture pour explorer et essorer un tel sujet dans toute sa complexité et son ambiguïté. La spirale de la violence décrite par le film va loin, très loin. Ce parcours est habité par une impressionnante tension urgente – quitte parfois à ce que le film soit trop chargé, notamment d’un point de vue musical.

Éminemment subversif, a fortiori dans un contexte français où l’extrême-droite dicte quotidiennement son agenda politique, Tu me ressembles raconte l’histoire d’une femme qui est vue soit comme une moins que rien, soit comme un monstre. Mais Amer regarde plus loin, examine plus profondément. Elle dépeint la solitude et les retranchements vers lequels Hasna est repoussée. Elle parvient à créer de l’empathie – mais l’empathie n’est pas l’apologie. La puissance politique du film vient justement de la complexité de ce regard et de cette réflexion.

Plus le film se rapproche du réel, plus il est passionnant, et son décrochage documentaire est une sensation de cinéma rare et très précieuse. Ce changement de paradigme est un choc, un intelligent fondu enchainé de la fiction au doc par la cinéaste qui est également journaliste. « Personne ne m’écoute dans ce pays de merde », se lamente l’héroïne épuisée. Tu me ressembles se penche sur elle, refuse les constats paresseusement confortables, offre un point de vue assez unique sur un sujet brûlant – c’est un vrai coup de tonnerre.

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par Nicolas Bardot

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