A voir en ligne | Critique : The World is Full of Secrets

La voix d’une vieille femme se souvient d’un terrible évènement de son passé. Par une chaude soirée de l’été 1996, cinq adolescentes se retrouvent dans une maison de banlieue, en l’absence de leurs parents. Pour passer le temps, elles se racontent des histoires morbides, essayant de se surpasser les unes les autres dans l’horreur.

The World is Full of Secrets
États-Unis, 2018
De Graham Swon

Durée : 1h38

Sortie : 15/01/2021 (en vod)

Note : 

SECRET GIRLS

Que s’est-il passé ce mystérieux soir de 1996 ? Une dame âgée, que l’on ne verra jamais à l’écran, nous prévient d’emblée de sa voix off cotonneuse: « il y a des choses tellement horribles qu’on ne peut même pas en parler ». Nous voilà pourtant déjà suspendus à son récit, tant sa voix est accueillante et son récit délicieusement mystérieux. Nous voilà ferrés par la promesse d’une histoire morbide dans un cadre chaleureux et confortable : celui d’une soirée pyjama entre filles, faite de pizza et de popcorn.

Avec ses ralentis rêveurs et ses fondus enchainés, cette soirée entre filles prend des airs de souvenirs somnolants, de fantasme nostalgique. Les réminiscences de la narratrice sont-elles si claires que ça ? La caméra fétichiste s’attarde en ronronnant sur des détails : une bague étonnante, une chaussure oubliée, un coussin moelleux…, créant une étrange atmosphère, une sorte d’inquiétante étrangeté en peluche. Lorsque le motif du papier peint se superpose le temps d’un fondu aux visages des jeunes filles, on pense aux photos de Valérie Belin et leurs inquiétantes femmes-objets.

Ces jeunes filles se sont réunies pour se raconter des histoires. Chaque histoire doit être véridique et la plus horrible possible. Chacune leur tour, elles vont devoir effrayer les autres en utilisant uniquement leur parole. Graham Swon (lire notre entretien) pousse cette idée jusqu’à la radicalité. L’une des jeunes filles va ainsi parler face caméra dans un monologue ininterrompu de 20 minutes (filmé en temps réel, à tel point que l’on voit la nuit tomber à travers la fenêtre – comme dans un Wang Bing). Plus tard, une autre prendra 35 minutes, le visage encadré de deux bougies qu’on aura le temps de voir fondre en direct. Assommant ? Au contraire, le résultat est proprement fascinant.

D’abord parce que Graham Swon et ses héroïnes possèdent un talent rare pour mettre en scène la parole. Alors qu’aucune de ces histoires n’est reconstituée à l’aide de flashbacks, nous voilà hypnotisé par le moindre élément de récit. Même quand aucun mot n’est prononcé à voix haute. Une bonne histoire, est-il dit dans le film, n’est pas qu’une succession de faits énoncés. Même sans l’écouter, il y a un délicieux frisson à scruter quelqu’un qui raconte une histoire, à voir les pupilles s’agrandir, le visage se pencher dans une confidence. The World is Full of Secrets, c’est la pure fascination des histoires effrayantes racontées au coin du feu.

D’autre part, les récits en questions sont eux-même particulièrement tordus. On y croise – est-ce un hasard – des jeunes filles sacrifiées, livrées à l’horreur la plus brutale, mais qui rayonnent d’une innocence et d’une puissance presque magiques. Comme chez l’autrice Laura Kasischke, les légendes urbaines sont l’occasion de voir ressurgir des mythes féminins. Envoutées par ces récits venus du fond des âges, les héroïnes prennent tantôt des airs de sorcières réunies pour un curieux rituel, ou encore de Pythies annonçant les pires malédictions. Faut-il trembler pour elles ou à cause d’elles ?

Il y a dans The World is Full of Secrets une façon enthousiasmante de célébrer la puissance de l’imagination féminine, et cela passe également pas une réappropriation féministe d’un courant du cinéma contemporain pourtant presque exclusivement masculin : la nostalgie pour l’horreur des années 80 et 90. Moins Stand By Me que Hanging Rock, le résultat est ici d’une poésie vénéneuse qui laisse coi.


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par Gregory Coutaut

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