A voir en ligne | Critique : L’Innocent

Une chercheuse en laboratoire mène une paisible vie de famille, jusqu’au jour où des forces du passé viennent hanter son esprit et questionner sa morale.

L’Innocent
Suisse, 2018
De Simon Jaquemet

Durée : 1h54

Sortie : –

Note : 

DANS LE SECRET DES DIEUX

L’une des premières réussites de L’Innocent, second long métrage du Suisse Simon Jaquemet (lire notre entretien), est de ne rentrer dans aucune case. C’est un drame germanophone austère ; c’est un film fantastique à l’imaginaire parfois flamboyant. C’est un long métrage au traitement clinique ; c’est aussi un film d’une dimension mystique. C’est un récit tout à fait âpre ; c’est également un film qui, en creux, raconte une histoire parfaitement romanesque. L’Innocent n’a pas à choisir, car la richesse d’écriture de Jaquemet, son habileté dans la rupture de tons, l’autorisent à être ceci mais également cela.

Cela nous mène à l’autre très précieuse qualité de L’Innocent : il est rigoureusement impossible de savoir où le film va aller. Non pas parce que ses rebondissements seraient purement arbitraires. Mais parce que Jaquemet installe d’abord une rétention d’information qui crée le mystère. Prend alors peu à peu forme un personnage fascinant qui semble garder cadenassés en elles des milliers de secrets. Et enfin, lors d’un dernier acte peuplé de visions WTF, le film affirme sa liberté tout en exploitant sa tension fantastique au mieux : tout ce que l’on voit est une question de point de vue – pur réalisme, vision divine, projection fantastique.

Que raconte L’Innocent, sans trop en dévoiler ? L’histoire spectrale d’une femme abîmée, absolument entourée (par sa famille, par une église paternaliste) et absolument seule. D’où viennent ses cicatrices ? Quel confort trouver ? L’aigle, dit-on, n’est que plus fort dans la tempête. Il y a quelque chose de toxique dans cette affirmation, mais le vrai-faux / faux-vrai happy end en offre une interprétation pour le moins mordante et d’une noire ironie. Jaquemet nous donne le sentiment d’avoir effectué un profond voyage au cœur du personnage de Ruth, héroïne qui pourrait être peu généreuse mais dont la rage butée a quelque chose de captivant.

Plastiquement, le film explore cette schizophrénie en mêlant nuits bleues et blancheur des laboratoires. Ce courant alternatif maintient une étrange tension dans L’Innocent, comme si quelque chose était sur le point de s’embraser. C’est en fait l’inverse qui se joue devant nous : dans le film, un vieux souvenir, un grand amour, ne se sont jamais éteints. Et de toute cette âpreté naît une surprenante émotion ; de la noirceur du dénouement naît la lumière ambivalente du petit matin. Le film dit tout ce qu’il a à dire sur la religion, le carcan familial, le deuil, l’empathie, tout en chérissant par-dessus tout ce qui ne peut pas être expliqué. Comme ce dernier plan, d’une pure beauté poétique et qu’on n’oubliera pas.


>>> L’Innocent est visible librement sur le replay d’Arte jusqu’au 7 janvier 2021

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article