Busan 2020 | Critique : The Disciple

Sharad Nerulkar a consacré sa vie entière à devenir un chanteur de musique classique indienne. Il suit assidûment les traditions et la discipline des anciens et de son mentor. Mais au fil des ans, Sharad commence à se questionner…

The Disciple
Inde, 2020
De Chaitanya Tamhane

Durée : 2h07

Sortie : –

Note :

BRANCHEZ LES SITARS

On avait découvert Chaitanya Tamhane il y a six ans avec Court (En instance), son incroyable premier film dans lequel un procès kafkaïen servait de miroir à une société indienne aux codes sociaux parfois labyrinthiques. Produit par Alfonso Cuarón, Le Disciple raconte avec la même maestria une histoire a priori plus succincte. Dans un mouvement plusieurs fois répétés, la caméra de Tamhane commence par filmer une salle de concert remplie, puis zoome avec élégance par-dessus les chanteurs à l’avant-scène pour se concentrer sur Sharad le choriste. Le Disciple raconte la vocation de ce dernier, et les années de ce discipline passées à tenter d’atteindre le niveau pour devenir soliste.

Mais Le Disciple ne s’appelle pas Le Choriste. La longue quête de perfection de Sharad est bel et bien spirituelle, presque mystique. Il écoute ses leçons comme des prières. Moins qu’à son maître, c’est avant tout au respect de la tradition qu’il est dévoué. Dans l’Inde d’aujourd’hui (filmée ici comme on la voit trop rarement, dans tous ses passionnants paradoxes), quelle est la place pour des coutumes si séculaires qu’elles peinent à traverser les générations ? Une question posée en filigrane par la répétition presque hypnotisante des scènes musicales, qui crée une tension têtue, comme une affirmation qui n’accepterait pas de contradiction.

Le Disciple parle de folklore mais n’est jamais pittoresque. De même, il balaye très loin les clichés naïfs ou doloristes des récits d’apprentissage, même quand il se transforme en fable cruelle sur la perte d’illusions. A force de frustration et de stagnation, le sourire admiratif de Sharad laisse place à des épaules et des paupières de plus en plus abattues, mais l’écriture est ici subtile et incisive. Le talent de Tamhane est de parvenir à suggérer la violence sans jamais la montrer, de par la simple observation de rituels sociaux, par des status quo perpétués sans remise en question. Il évite aussi tout manichéisme, faisant de son protagoniste un fascinant personnage, riche de nombreuses nuances.

Le Disciple partage avec plusieurs autres films du moment (d’ailleurs également présentés à Toronto et/ou La Mostra, comme City Hall ou Genus Pan) une interrogation politique sur l’héritage. Jusqu’où faut-il vénérer la véracité historique ? A quel moment la tradition devient-elle un totem intouchable, un demi-dieu crée de toute pièce ? Jusqu’où apprendre, et où commencer à désapprendre ? Ce que Chaitanya Tamhane montre dans ce portrait ambivalent et passionnant, c’est qu’il n’y a pas de réponses simples, et que ce silence est lui-même une forme de violence, un héritage maudit.

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par Gregory Coutaut

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