Mostra de Venise | Critique : Snow in Midsummer

En 1969, les tensions post-électorales se sont emparées de Kuala Lumpur tandis que l’opéra de rue cantonais Snow in June est présenté au public. Au milieu de l’émeute, Ah Eng et sa mère cherchent refuge avec la troupe, perdant le contact avec leurs proches…

Snow in Midsummer
Malaisie, 2023
De Chong Keat Aun

Durée : 1h56

Sortie : –

Note :

JOUR DE NEIGE

S’il est malheureusement resté inédit en France, The Story of Southern Islet, premier long métrage du Malaisien Chong Keat Aun, a été très remarqué en festivals. Ce film singulier se distinguait par son étonnant mélange de contemplation tropicale et de pur fantastique, brouillant des frontières (à vrai dire obsolètes) entre ce qui peut être considéré comme du cinéma d’auteur radical et du cinéma populaire. Ce mélange de tons est moins évident dans le nouveau long métrage du cinéaste, Snow in Midsummer, mais on a à nouveau le sentiment de voir une œuvre qui ressemble à peu d’autres. Celle-ci fait sa première mondiale à la Mostra de Venise, dans la sélection Giornate degli autori, et confirme que Chong Keat Aun est un nouveau talent à suivre.

Snow in Midsummer débute en 1969. Un opéra de rue s’organise, les couleurs sont chatoyantes. Plus loin, un cinéma rempli diffuse Raja Bersiong, un film épique et flamboyant. Mais des nuages noirs s’amoncellent : suite à des élections, de dramatiques émeutes raciales vont éclater. La caméra à distance est au bon endroit pour saisir la stupéfaction et l’incompréhension. Le sang coule et va déborder mais les actions violentes ne sont pas montrées. La protagoniste contemple les flammes au loin, encore maquillée pour la scène, créant un déstabilisant contraste. Un éléphant plus tard se retrouve dans la rue vidée, comme une anomalie. Chong Keat Aun dépeint ce désordre soudain et ce chaos angoissant sans en faire un spectacle, avant la césure.

Sans trop en dévoiler, la deuxième partie du long métrage se déroule un demi-siècle plus tard. La caméra est à nouveau à distance, donnant une importance centrale à l’environnement et à ce qu’il raconte. On retourne sur les lieux, sur les traces invisibles qu’ils portent – quel esprit flotte dans ce vieux cinéma ; est-ce un fantôme dans le miroir ou simplement une veuve éplorée ? Le passé est, dit-on, « comme un rêve ». Est-ce une façon polie de qualifier l’une des plus horribles tueries de masse que la Malaisie a connues ? Le cinéaste filme ce qui reste indistinct, comme les tombes des nombreuses victimes non-identifiées, parmi les multitudes de statues et de divinités.

Fin narrateur, Chong Keat Aun signe un film d’une extrême langueur mais fait aussi preuve d’une brillante gestion du rythme. Son récit est à la fois simple, puissant, et sa construction est ambitieuse. Confiante et élégante, la mise en scène du cinéaste est inspirée et pose toujours de bonnes questions quant au point de vue. Cette maestria impressionne dans ce long métrage qui raconte de manière poignante la mémoire supprimée et pourtant indélébile.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article