Critique : She Will

Veronica part en convalescence dans la campagne écossaise avec sa jeune infirmière, Desi, après avoir subie une double mastectomie. Les deux femmes développent un lien particulier, alors que des forces mystérieuses amènent Veronica à s’interroger sur ses traumatismes passés et comment les venger.

She Will
Royaume-Uni, 2021
De Charlotte Colbert

Durée : 1h35

Sortie : 30/11/2022

Note :

L’ANGE DE LA VENGEANCE

C’est dans un décor inattendu que nous rencontrons les deux héroïnes de She Will : un confortable wagon de train au luxe et aux dorures d’antan, tout droit sorti d’un vieux roman britannique. Victoria, dame d’un certain âge à l’élégance sèche et au visage anguleux de marâtre est accompagnée de Desi, sa jeune assistante qui lève les yeux au ciel dans le dos de sa pénible patronne. Ces archétypes paraissent délicieusement familier et pourtant, sans que l’on s’en rende encore compte, nous sommes comme les protagonistes : en partance vers une destination inconnue. Par la fenêtre, le coin d’Ecosse glacé que traverse leur train (et où furent brûlées les dernières sorcières, dit-on) ressemblerait en effet davantage à la Transylvanie ou à une Europe moyenâgeuse et sauvage.

En arrivant au manoir reculé où elle est venue faire une retraite, Victoria se demande dans quelle guêpier elle a accepté de se fourrer. A notre tour, on se demande alors également devant quelle sorte de film nous nous trouvons exactement. Loin d’être une frustration, ce questionnement est au contraire une très excitante promesse. La réalisatrice Charlotte Colbert (lire notre entretien) et sa coscénariste Kitty Percy semblent nous demander à quelle famille du cinéma fantastique les personnages qu’elle nous propose devraient appartenir selon nous : film de sorcière, de secte, de séquestration, etc… ? Jonglant avec les registres, She Will est un film intelligent mais bien trop classe pour se complaire dans la roublardise. Difficile à réduire à un simple pitch (ce qui est une qualité), son scénario déploie jusqu’au bout un étonnant éventail de niveaux de lecture.

Dans sa jeunesse, Victoria fut une actrice prometteuse et la muse/nymphette d’un cinéaste devenu culte. Elle était particulièrement jeune, il profitait de l’impunité de son aura artistique. Pas besoin de chercher très loin des parallèles avec la vie réelle. A l’heure ou le cinéaste en question (interprété par Malcolm McDowell) s’apprête à recevoir une énième fois les honneurs de sa profession, à l’heure où les images de Victoria jeune viennent refaire surface dans les journaux télé, cette dernière entend remonter à la surface la voix du passé.

Avant de passer à la réalisation (et de glaner le prix du meilleur premier film à Locarno), Charlotte Colbert travaillait déjà comme artiste plasticienne. L’une de ses œuvres les plus connues était une recréation en vidéo d’un nu féminin peint par Lucian Freud. En changeant de média et et animant son modèle, Colbert déjouait le status quo du regard masculin : la femme objet s’éveillait pour regarder le spectateur droit dans les yeux. L’effet saisissant est similaire ici. Après Freud, Colbert ne craint pas de faire des clins d’œil à d’autres maitres (on pense au Kubrick de Shining et au Lars Von Trier d’Antichrist) pour mieux y superposer ce qui leur manquait : une voix féminine, la voix de toutes les femmes qui ont été utilisées, maltraitées, violées ou plongées dans l’oubli par le club de mecs du cinéma mondial.

Le titre de She Will peut se lire à la fois comme une promesse et comme une menace. De fait, la question que pose la réalisatrice est « faut-il davantage craindre les sorcières ou ceux qui les brûlent ? ». Inquiétant plus que vraiment terrifiant, mais aussi porté par un esprit vengeur galvanisant, She Will peut se voir à la fois comme un pur film fantastique et un commentaire sur le cinéma fantastique (et son rapport ambigu à la terreur féminine). Entre les lignes, c’est un peu l’histoire d’une actrice qui viendrait traverser les époques, les registres cinématographiques et même les œuvres des grands maîtres pour arriver jusqu’à nous et faire entendre sa voix. Un très impressionnant programme.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article