Festival de Rotterdam | Critique : Rei

Hikari, la trentaine, est employée dans une entreprise. Sa vie est stable et sans souci apparent. Lors d’un voyage dans les montagnes d’Hokkaido, elle rencontre un photographe sourd, Masato. À travers lui, Hikari se lance dans un voyage qui va la transformer.

Rei
Japon, 2024
De Tanaka Toshihiko

Durée : 3h08

Sortie : –

Note :

JE TE DIS TOUT

Pris indépendamment, le caractère japonais Rei ne possède pas de signification stricte et ce n’est qu’en étant associé à d’autres caractères qu’il dévoile sa multitude de sens possibles. Cette éloquente explication linguistique offre un parallèle tout trouvé avec l’histoire d’Hikari, jeune femme timide et solitaire qui va apprendre à s’ouvrir aux autres. C’est à vrai dire tellement flagrant que le cinéaste Tanaka Toshihiko pourrait se permettre un peu plus de non-dit, plutôt que de placer cette leçon en carton d’ouverture défilant au ralenti. De la subtilité, il y en a heureusement davantage dans les trois heures de ce long métrage délicat, mais il est vrai que jusqu’au bout Rei demeure sur un drôle de fil d’équilibriste entre pudeur et impudeur, entre trop en dire et ne rien dire.

Même si son rythme demeure élégamment contemplatif, Rei est un film qui ne craint pas les dialogues. Avec sa meilleure amie, Hikari peut parler de rien mais aussi de choses sérieuses et intellectuelles telles que les pièces de théâtres auxquelles elle assiste régulièrement. Le long métrage nous dévoile la vie quotidienne de cette sage héroïne et de son entourage, et il règne sur leurs échanges sympathiques l’ombre d’un nuage. On peut sortir à l’improviste le soir, bien sûr, mais il faut demander l’autorisation du mari. On complimente les goûts culturels des uns, l’éducation des autres, mais s’écoute-t-on réellement ? Les courbettes de la politesse japonaise possèdent leurs limites, et laissent deviner ici une vraie solitude. Hikari va-t-elle réussir à vaincre cette malédiction ou bien sera-t-elle être incapable de briser sa carapace ? Cette question, Rei prend son temps pour y répondre.

Il est tentant de faire un parallèle entre la première partie de Rei et Senses de Ryusuke Hamaguchi car comme dans ce dernier, les scènes semblent directement ici sortir d’un atelier d’improvisation collective. Mais avant de pouvoir atteindre un vertige similaire, Rei change de décor. A la mi-film, sans qu’on n’ait vraiment pu trancher si cette mise en place était radicale ou juste lente, les intérieurs exigus laissent places aux superbes paysages enneigés de la région d’Hokkaido. Le film bascule alors dans le romanesque tout en conservant un équilibre étonnant. La chaleureuse carte postale aux formules poétiques appuyées (« On n’emploie pas de mots mais on communique quand même », dit Hikari à un malentendant) n’empêche pas les sentiments d’être mis à nu jusqu’à atteindre une violence qui vient nous cueillir par surprise.

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par Gregory Coutaut

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