Critique : Quand les vagues se retirent

Le lieutenant Hermes Papauran, l’un des meilleurs enquêteurs des Philippines, se trouve dans un profond dilemme moral. En tant que membre des forces de l’ordre, il est le témoin privilégié de la campagne meurtrière anti-drogue que son institution mène avec dévouement. Les atrocités corrodent Hermes physiquement et spirituellement, lui causant une grave maladie de peau qui résulte de l’anxiété et de la culpabilité. Pour guérir, il devra affronter ses propres démons.

Quand les vagues se retirent
Philippines, 2022
De Lav Diaz

Durée : 3h07

Sortie : 16/08/2023

Note :

LA SAISON DU DIABLE

Du drame musical (La Saison du diable) au film noir (Genus Pan) en passant par la fable de science-fiction (Halte), le Philippin Lav Diaz (lire notre entretien), pour ne citer que ses films les plus récents, pioche régulièrement dans le cinéma de genre. C’est une distance avec le réel, c’est aussi une perspective pour voir au plus près. Si Quand les vagues se retirent utilise également des codes du film noir, il est un récit politique actuel et cinglant sur « la fin de la moralité et de la vérité », comme le cinéaste le commentait au sujet de Halte. Tout cela pourrait être écrasant mais Quand les vagues… confirme le talent de narrateur hors pair de Diaz : le récit est fluide, la gestion du rythme tient comme toujours du miracle – avec ici un film plus court qu’habituellement (3 heures) et des séquences plus concises.

Un protagoniste dans Halte se questionnait : « Les Philippins ont-ils encore une âme ? ». Quand les vagues se retirent n’a même plus vraiment l’espoir de poser des questions : « J’emmerde les Philippines ! », hurle t-on dans la nuit. La nuit, parlons-en : celle-ci est toujours plus remarquable chez Lav Diaz qu’ailleurs ; l’utilisation prodigieuse des sources de lumière et la composition des cadres sont aussi dramatiques qu’hypnotiques. Le grain et le voile de l’image donnent un léger flou à certaines scènes, une étrange vibration plus qu’une clarté aveuglante. C’est dans ces nuits et ces ombres que surgissent les diables chez le cinéaste, allégoriques ou bien réels.

Quand les vagues se retirent raconte la guerre menée par l’ancien président Duterte contre la drogue – une guerre contre les pauvres où le populisme et l’impunité du pouvoir règnent. Diaz dépeint la lâcheté du fascisme, et à cet égard les figures de pouvoir sont souvent caractérisées chez le cinéaste comme des caricatures bouffonnes et pathétiques : ici, un faux homme de foi qui se distingue par le paternalisme ridicule propre aux sauveurs. Où peut bien encore se cacher la vérité dans la culture politique des fake news ? On raconte le temps d’une scène de Quand les vagues se retirent des histoires et des contes à dormir debout. Pendant ce temps les vagues grondent, même elles sont en colère comme le commente un personnage.

Il n’y a pas dans ce nouveau film de véritables éléments surnaturels, de créatures mythologiques comme on a pu en croiser chez le réalisateur. Il s’agit plutôt d’un combat tristement réaliste et sans fin, dans la lignée de son Lion d’or La Femme qui est partie. Mais le réel peut être investi de bien des façons et la théâtralité chez Diaz est un outil. Les silhouettes se détachent du noir de la nuit comme sur une scène, la dimension métaphorique décolle du fait divers. Fan de telenovelas aux émotions fortes, le réalisateur n’a pas peur de pousser le curseur (du désespoir, de la colère, du malaise) jusqu’à l’exagération. On est abandonné par Dieu, et les damnations chez Diaz sont sisyphéennes (on balaie un sable éternel comme hier on rampait éternellement dans la gadoue).

Il y a quelques mois, Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr, fils du dictateur Ferdinand Marcos, a été plébiscité et élu Président des Philippines pour succéder à Duterte. La boucle racontée avec puissance et maestria par Lav Diaz peut bien avoir tous les signes extérieurs de l’artifice (le noir et blanc, les codes du genre, les émotions extrêmes), celle-ci n’est que l’expression directe d’un temps infernal illustrant les propos tenus hier par le cinéaste : « la vie n’est qu’une comédie sinistre et absurde ».

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par Nicolas Bardot

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