Festival New Directors/New Films | Critique : Pilgrims

Paulius et Indrė arrivent dans une petite ville. Ils visitent une maison et prétendent vouloir l’acheter. Ils demandent d’abord à visiter la cave de la maison, mais ils sont reconnus par le propriétaire et mis à la porte. Rapidement, les habitants de la ville commencent à deviner les motifs de ces visites…

Pilgrims
Lituanie, 2022
De Laurynas Bareiša

Durée : 1h31

Sortie : –

Note :

RÉPERTOIRE DES VILLES DISPARUES

Lorsque nous avions rencontré la cinéaste bosnienne Jasmila Žbanić, celle-ci venait de présider le jury Orizzonti de la Mostra de Venise. Pilgrims venait d’y remporter le prix du meilleur film, et Žbanić nous vantait en ces termes ses qualités d’écriture : « il fait preuve d’une approche conceptuelle si consistante dans son minimalisme qu’il est capable de raconter de façon très belle, et à sa propre échelle, des choses que les studios hollywoodiens ne sauraient faire qu’en dépensant des millions et des millions de dollars ».

Pilgrims raconte l’histoire d’une enquête. Afin de venger, ou du moins éclaircir, la mort de son frère, le héros est à la recherche de la dernière femme à l’avoir vu vivant. Ce pitch pourrait donner lieu autant à des films policiers prévisibles qu’à des documentaire true crimes peu inspirés sur Netflix. Or le long métrage du cinéaste Laurynas Bareisa a effectivement l’air de sortir de sa propre petite planète, et pas seulement à cause de la langue lituanienne  peu familière à nos oreilles. Le paradoxe de Pilgrims vient qu’il ne court pas après l’originalité à coup d’effets chocs ou de coups de théâtre scénaristiques. Cette originalité, il l’obtient avec succès en prenant la route inverse : celle d’un minimalisme tel qu’il déplace le film vers tout autre chose, comme des plaques tectoniques de poche.

Quand le film débute, nous ignorons tout. Telle l’amie blasée (un personnage qui devient de plus en plus ambigu au fil du film) qui colle aux basques du héros, nous suivons ce derniers dans une reconstitution dont il ne souhaite pas dévoiler les détails d’emblée. A la recherche d’on ne sait quel fil d’Ariane, les deux protagonistes traversent des décors où les autres les remarquent à peine, tels des spectres assommés par le deuil. L’histoire se déroule dans une banlieue pavillonnaire anonyme, un décor peu propice à des événements spectaculaires mais où l’horizon est mine de rien tellement bas que les avions semblent prêts à y écraser les maisons. Le décalage absurde entre l’ennui qui baigne le village et la brutalité des faits soupçonnés d’y avoir eu lieu rappelle un instant le fear porn à l’œuvre dans Excess Will Save Us, à la différence que Pilgrims n’est pas une comédie. C’est peut-être même moins un film policier qu’un film de fantôme.

A mesure que la mini-enquête progresse, que chaque maison révèle ses secrets tordus, Pilgrims parle de violence de groupe mais il dresse surtout la cartographie d’un inconscient collectif. Le village et ses habitants y apparaissent comme traumatisés par une violence reçue en héritage et qui aurait imprégné le sol même. C’est la piste lancée par deux des meilleurs embardées du film vers le fantastique : l’anecdote disant que des bâtiments seraient construits proches d’un cimetière tellement oublié qu’on se sait plus à quelle guerre il correspond, et la visite d’un sous-sol aux tortures digne du final de Blair Witch. En surface, le film n’a pourtant pas quitté sa sobriété radicale, c’est entre les lignes que sa folie gronde. Pilgrims aurait sans doute gagné être radical également dans sa durée, mais il demeure une singulière réussite.

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par Gregory Coutaut

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