Critique : Pieces of a Woman

Une femme endeuillée entame un voyage émotionnel après la perte de son bébé.

Pieces of a Woman
Canada, 2020
De Kornél Mundruczó

Durée : 2h06

Sortie : –

Note :

MORCEAUX DE CHOIX

Un plan récurrent de Pieces of a Woman montre l’évolution saisonnière d’un fleuve, imperturbable dans son flux placide et puissant. Le film de Kornél Mundruczó submerge pourtant comme une gigantesque vague, un torrent d’amour pour prendre une référence pas si fortuite à Cassavetes. Les courtes scènettes d’introduction ont un vif sens du détail, et quelques plans suffisent à nous faire comprendre la différence de classe entre Martha et Sean, l’ombre désapprobatrice de sa mère, et leur croyance qu’ils sont un peu plus cools et sages que la vie de couple archétypale qu’on leur propose. Mais on peut dire que Pieces of a Woman commence réellement juste après, nous clouant au sol avec un plan séquence haletant dans lequel Martha s’apprête à donner naissance à domicile.

La précision de l’écriture (sur l’intimité de leur relation, sur la montée de la tension) est alors amplifiée par la dextérité d’une mise en scène magnétique, alternant gros plans sur Martha et reculs, asphyxies et respirations, comme si le rythme de l’accouchement nous était transmis. C’est là que l’on pressent que le film va bien plus s’intéresser à Martha qu’à Sean. C’est aussi le moment (soit quelques minutes à peine après le début du film) où l’on comprend que Vanessa Kirby va donner une performance en or massif. Elle crève l’écran dans ce rôle de femme dépossédée, étrangère à tout ce qui l’entoure. Son prix d’interprétation à Venise est irréfutable.

On pourrait se demander pourquoi le Hongrois Kornél Mundruczó est allé se lancer dans un projet nord-américain, tourné à Boston et produit par Scorsese, et comment la singularité des ses fables allait bien pouvoir s’y traduire. Or, il emmène ici dans ses bagages sa fidèle collaboratrice et compatriote, la dramaturge Kata Wéber. Le film est d’ailleurs l’adaptation de sa pièce « Une femme en pièces », que Mundruczó avait déjà mis en scène au théâtre. Malgré son découpage en chapitre, Pieces of a Woman ne ressemble à aucun moment à du théâtre filmé. S’il possède bel et bien des manières typiques du cinéma américain (on se serait bien passé du piano-mélo kitsch d’Howard Shore), on peut dire qu’il se tire de cette déterritorialisation haut la main. Très haut, même.

Par exemple, on n’imaginait pas un film de Mundruczó se prêter à des performances à Oscar. Pourtant, même lorsque celles-ci ont des airs de passages obligés, elles donnent lieu à des scènes particulièrement puissantes. Si on ne peut pas dire que Shia LaBeouf affine son personnage déjà rustaud, Ellen Burstyn transforme en revanche un soudain monologue (qui aurait pu devenir une scène « for your consideration ») en un bouquet de nuances plein d’épines. Slalomant avec une fluidité rare entre quelques symboles appuyés et de nombreuses fulgurances, le film entier est à cette image: très accessible mais pas si lisse que ça. Pieces of a Woman est un drame qui se dévore avec passion.

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par Gregory Coutaut

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