Critique : Petra

Petra, jeune artiste peintre, intègre une résidence d’artiste auprès de Jaume Navarro, un plasticien de renommée internationale. Très vite, Petra découvre un homme cruel et égocentrique qui fait régner parmi les siens rancoeur et manipulation. Malgré les mises en garde, la jeune femme persiste, bien décidée à se rapprocher de cette famille. Petra avouera-t-elle la véritable raison de sa présence ?

Petra
Espagne, 2018
De Jaime Rosales

Durée : 1h47

Sortie : 08/05/2019

Note :

TROMPE-L’ŒIL

Facétie du calendrier : alors que d’ici quelques jours, Paolo Moretti s’apprête à dévoiler sa toute première sélection en tant que nouveau délégué général de la Quinzaine des Réalisateurs, voici que sort enfin l’un des derniers films sélectionnés l’an dernier par son prédécesseur Edouard Waintrop. Habitué de Cannes (bien qu’il ne se soit jamais encore retrouvé en compétition), le réalisateur Jaime Rosales a également l’habitude de surprendre avec sa filmographie aux multiples registres, en forme de jeu de l’oie. « Après être revenu à la case départ, Petra a constitué un pas de plus dans une nouvelle direction » prévient-il.

Pourtant, à première vue, quoi de plus familier qu’un récit de retrouvailles et règlements de comptes familiaux ? Quoi de plus habituel qu’un long métrage qui porte le nom de son héroïne principale, comme tant de magnifiques-portraits-de-femmes convenus ? Quoi de plus confortable que cette structure en chapitres, comme des mini-épisodes de série ? Or dans cette chaumière isolée et remplie de secrets qui constituerait le cadre idéal pour une saga de l’été, les indices retors ne tardent pas à pointer le bout de leur nez.

Jaume, artiste plasticien plein de morgue, se targue de pouvoir utiliser l’art pour à la fois chercher et cacher la vérité. Ses œuvres monumentales s’imposent à l’œil par leur taille, sont pour ainsi dire sous notre nez en permanence, tout en déguisant la vérité. Dans une passionnante mise en abyme, Jaime le cinéaste utilise lui aussi le trompe-l’œil, et fait mine d’utiliser sagement les codes narratifs classiques de la saga familiale, des récits fleuves remplis de coups de théâtre, pour en faire quelque chose de plus sauvage et bizarre – pour notre plus grand plaisir.

Chaque chapitre possède son titre et son numéro. Or ils sont présenté dans le désordre d’un puzzle excitant, et leurs titres révèlent parfois d’emblée d’importantes révélations à venir, désamorçant ainsi avec une étonnante ironie la mécanique du récit. Petra est un film qui ment, sur des personnages qui mentent. Jaime Rosales nous divertit en nous racontant une histoire (et quel suspens, quels ronronnements devant les twists de cette télénovela noirissime), mais il s’amuse aussi beaucoup – sans ironie ni cynisme, en rajoutant une généreuse dose d’intranquillité à ce récit malade.

La présence dans le rôle principal de la charismatique Bárbara Lennie (héroïne de La Niňa de fuego) n’est sans doute pas un hasard. Dans cette saga qui tourne à la tragédie grecque, on retrouve plus d’un écho de la sauvagerie ludique des films de Carlos Vermuth. On repense aussi à la perversion dingue de la fratrie de Demonio tus ojos de Pedro Aguilera (hélas resté inédit dans nos salles). Comme une faille souterraine, il y a refoulé immonde qui sert de fil rouge à tout un pan du cinéma indépendant espagnol. Ludique et sombre à la fois, Petra en est un très excitant exemple.

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par Gregory Coutaut

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