Festival CPH:DOX | Critique : My Dear Théo

Dans une série de lettres à son jeune fils, une mère, soldate et cinéaste documente ses pensées depuis la ligne de front ukrainienne.

My Dear Théo
Ukraine, 2025
De Alisa Kovalenko

Durée : 1h38

Sortie : –

Note :

QU’AS-TU FAIT A LA GUERRE, MAMAN ?

On a pu, par la force des choses, voir ces dernières années un certain nombre de documentaires sur l’agression russe en Ukraine. Certains, comme le tout récent Timestamp de Kateryna Gornostai ou Songs of Slow Burning Earth d’Olha Zhurba (également au programme de CPH:DOX) racontent la vie qui continue malgré tout. D’autres se penchent sur la présence russe, qu’elle soit physique (Special Operation de Oleksiy Radynski) ou vocale (Interceptés d’Oksana Karpovych). D’autres encore sont des productions étrangères traversant villes, routes et sous-sols : In Ukraine des Polonais Piotr Pawlus et Tomasz Wolski, Pierre feuille pistolet du Polonais Maciek Hamela ou encore Photophobia des Slovaques Ivan Ostrochovský & Pavol Pekarčík. My Dear Théo se déroule sur un terrain finalement assez rare sur grand écran : la ligne de front ukrainienne, auprès des soldat.es.

Alisa Kovalenko n’est pas seulement la réalisatrice de ce long métrage : elle fait partie de l’armée ukrainienne. Elle s’adresse à son jeune fils, déplacé en France. Mais en s’adressant à lui, elle s’adresse aussi à nous et documente son quotidien au plus près du conflit. My Dear Théo s’ouvre par une vision paisible parmi les branchages mais une déflagration interrompt la contemplation et nous rappelle où nous sommes. Il y a des tirs au loin – mais pas si loin. La caméra est posée littéralement dans les tranchées – des tranchées qui pour des enfants pourraient ressembler à un terrain de jeu. Mais Alisa Kovalenko nous invite au plus près du réel.

Le réel, c’est aussi et surtout l’attente. My Dear Théo est particulièrement saisissant dans ces scènes de petits riens : une clope entre les alertes, une séance de yoga dans les tranchées, ce « portail magique » qui s’ouvre vers le monde lorsque les soldat.es contactent leurs familles via leurs téléphones. En creux, Kovalenko capture aussi toute l’étrangeté de cette atmosphère. L’étrangeté d’un coucher de soleil dans ce contexte précis, l’étrangeté de croiser des vaches égarées sur le chemin. Ce sentiment étrange d’avoir l’impression d’être un fantôme « qui ne devrait pas être là » lorsqu’une école abandonnée, où des consignes sont encore inscrites au tableau, sert de base militaire.

Une déflagration et nous revoici plongés dans ce que le conflit a de plus concret : on annonce un blessé, ou un mort. Le temps se tord, se dilate, s’accélère. La caméra filme la longue route nocturne parcourue en véhicule. A son bord, des soldat.es qui hier encore étaient peintres, architectes, profs de sport. Kovalenko a les soucis de la guerre, mais aussi ceux de son fils. « Est-ce que tu me comprendras ? Est-ce que tu me pardonneras ? ». La soldate raconte ses rêves, la mère se questionne sur les rêves de son fils. La réalisatrice met en scène un rapport sensible à tout ce qui constitue, tout ce qu’implique cette guerre. En premier lieu la peur lancinante : le bruit des explosions, marcher sur une mine, être capturé. Les images de souvenirs s’invitent dans le montage, des flashs d’une vie d’avant, tandis que Kovalenko frôle la mort, tandis que ses camarades meurent. My Dear Théo est un puissant journal de guerre, aussi poignant que glaçant.

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par Nicolas Bardot

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