Critique : France

France est à la fois le portrait d’une femme, journaliste à la télévision, d’un pays, le nôtre, et d’un système, celui des médias.

France

France, 2021
De Bruno Dumont

Durée : 2h14

Sortie : 25/08/2021

Note :

TOURS DE FRANCE

Cela fait bientôt 25 ans que les films de Bruno Dumont se suivent sans se ressembler. Qu’ils soient parés d’une austère rigueur ou d’une bouffonnerie de cartoon, ils semblent souvent n’avoir pour point commun que leur imprévisibilité. De fait, qui peut bien deviner sur quelles cases funambulesques atterrira prochainement Dumont, cinéaste capable de signer aussi bien P’tit Quinquin et Twentynine Palms que Jeannette l’enfance de Jeanne d’Arc? Bruno Dumont est peut-être bien le cinéaste le plus libre du paysage français contemporain. Il en est certainement le plus déroutant et France, son onzième long métrage, est son film le plus inclassable à ce jour.

Les premiers plans de France nous montrent un drapeau flottant au-dessus de l’Élysée, au son d’une musique solennelle. L’un des premiers personnages à apparaître à l’écran n’est autre qu’Emmanuel Macron, en pleine conférence de presse. Face à lui se trouve Léa Seydoux dans le rôle d’une journaliste star. Les images fictives (les questions de Seydoux, les grimaces vulgaires de Blanche Gardin) et celle de la réalité (les authentiques réponses de Macron, sorties de leur contexte) sont ici montées en parallèle, puis carrément amalgamées par la magie des effets spéciaux. Le résultat est une ouverture de film d’une déboussolante singularité. Une sorte de sketch télévisé sur lequel plane pourtant quelque chose de très sérieux. Devant cette introduction comme devant tout le reste du film, se demander intérieurement « mais hein? » est une réaction appropriée. Ce n’est pas nécessairement un défaut, pour qui apprécie être pris de court.

Léa Seydoux incarne France de Meurs, un patronyme qui est déjà tout un programme, et dont l’ironie menace par moment d’alourdir tout. Il faut entendre des personnages secondaires de classes défavorisées dire avec l’accent arabe « Oh merci à vous madame France » pour le croire. France selon Dumont, c’est ça : un effet de réel glaçant et pourtant recouvert d’éclaboussures potaches. A vrai dire, on serait bien en peine de ranger le film dans des cases plus strictes que cela. France est-il une satire des médias, une allégorie de la société française, un portrait de femme ? Est-ce un bon gros vaudeville qui se révèlerait intelligent ou un fort sérieux film d’auteur exhibant un penchant clownesque ? On n’a pas vraiment le temps de trancher, car le récit avance selon des cases inattendues, se permettant parenthèses et digressions longuettes, passant du reportage de guerre à la comédie romantique. Si France est un portrait, c’est une mosaïque cubiste, aux perspectives contradictoires et drôlement intrigantes.

On est secoué par Dumont, mais on n’est pas les seuls. C’est seulement la deuxième fois que le cinéaste tourne avec une star. Le diptyque Camille Claudel 1915/Ma Loute pouvait déjà être interprété comme une expérience autour de l’image de Juliette Binoche, qui semblait s’adresser parfois directement au spectateur. Si France est un véhicule pour Léa Seydoux, filmée comme jamais, c’est là aussi une expérience. En lui faisant porter des tailleurs pour dadame trop criards et en lui mettant des vulgarités plein la bouche, Bruno Dumont déchire et recoud à la fois l’image glamour de la star Léa Seydoux. En la mettant face à des acteurs amateurs ou des partenaires avec qui on ne l’imaginait pas du tout (Blanche Gardin), il la met en valeur à la fois en tant qu’actrice comique et tragique. A force de la tremper dans différentes registres, il lui donne un visage qu’on a l’impression d’observer pour la première fois. Difficile de décider de quoi France fait le portrait, mais ce film extraterrestre et bancal est en tout cas un passionnant portrait d’actrice.

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par Gregory Coutaut

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