Critique : Le Silence des autres

1977. Deux ans après la mort de Franco, dans l’urgence de la transition démocratique, l’Espagne vote la loi d’amnistie générale qui libère les prisonniers politiques mais interdit également le jugement des crimes franquistes. Les exactions commises sous la dictature et jusque dans les années 1980 (disparitions, exécutions sommaires, vols de bébés, torture) sont alors passées sous silence. Mais depuis quelques années, des citoyens espagnols, rescapés du franquisme, saisissent la justice à 10.000 kilomètres des crimes commis, en Argentine, pour rompre ce « pacte de l’oubli » et faire condamner les coupables.

Le Silence des autres
Espagne, 2018
De Almudena Carracedo, Robert Bahar

Durée : 1h35

Sortie : 13/02/2019

Note : 

LA MÉMOIRE DANS LA PEAU

Il y un an, Le Silence des autres, produit par les frères Almodóvar, remportait le prix du public à la Berlinale. Il y a deux semaines, c’était le Goya du meilleur documentaire. Entre les deux, ce fut un tour du monde des festivals pour ce film coréalisé par l’Espagnole Almudena Carracedo et l’Américain Robert Bahar. Pourtant, le sujet du film est bien particulier, et il est propre à l’histoire espagnole. On pourrait même dire qu’il est enfoui si profondément dans l’inconscient collectif qu’il y a presque disparu. « On n’apprend rien de tout cela à l’époque » explique placidement un passant interrogé dans la rue.

On a parfois du mal à réaliser, d’une part, que la dictature de Franco ne s’est pas achevée il y a si longtemps que ça (presque à l’aube des années 80). Mais, alors même que les faits ne sont pas si anciens, il est encore plus fou de réaliser à quel point le silence et l’oubli ont pu s’imposer de façon si violente et définitive, et ce malgré l’horreur des exactions commises. Comment est-il possible que l’Espagne n’ait jamais connu l’équivalent d’un procès de Nuremberg? Comment, aujourd’hui encore, les rues de chaque ville peuvent-elles encore porter le noms de criminels de guerre, comme si c’était normal ? Comment un refoulement aussi gigantesque – de la taille d’un pays entier – est-il possible ? Comment cette situation peut-elle être si peu connue des jeunes Espagnols, mais aussi des pays voisins? Ces questions donnent à elles seules le vertige.

Pourtant, Le Silence des autres n’est pas un documentaire historique, dans le sens où il n’y est pas question de reconstituer le puzzle du passé ou de remonter le temps. C’est un film sur le présent. Un film sur comment on vit au présent, c’est à dire au quotidien, avec l’Histoire, quand celle-ci ne remonte pas plus loin que la génération de nos parents, ou concerne même notre propre jeunesse. Le film suit le parcours de différents citoyens espagnols engagés dans une bataille juridique avec l’appui d’une juge argentine. Mais à travers ce procès – qui n’est d’ailleurs pas encore terminé – ce que les cinéastes montrent avant tout, c’est la remontée à la surface d’un passé violemment refoulé, le soulagement de voir la parole enfin libérée, écoutée, crue. Le Silence des autres est aussi un film sur l’avenir, c’est aussi – paradoxalement – un film empli d’un espoir contagieux.

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par Gregory Coutaut

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