TIFF 2023 | Critique : La Piedad

Mateo aime le rose et sa mère Libertad. Mais un jour, dans ce monde à deux voix, on annonce à Mateo qu’il souffre d’un cancer.

La piedad
Espagne, 2022
D’Eduardo Casanova

Durée : 1h20

Sortie : –

Note :

A SES ENFANTS, LA PATRIE RECONNAISSANTE

Le cinéaste espagnol Eduardo Casanova s’était fait connaître en 2017 à la Berlinale avec son premier film, Pieles, un ovni qui mélangeait sans pareil kitsch assumé et monstruosité. La formule pourrait aujourd’hui décrire également son second film, La Piedad, qui n’est ni moins fou ni plus prévisible. Le rose bonbon y est à nouveau a l’honneur à l’image, mais il s’accompagne cette fois d’intérieurs au marbre gris glacé. L’horreur humaine ne s’affiche pas plus avec l’évidence des déformations physiques des protagonistes de Pieles : elle se cache cette fois sous des apparences aussi strictes que les perruques de maman très chère.

Cette mère, c’est Libertad (c’est à dire Liberté, tout un programme), incarnée avec allant par Ángela Molina, croisée à plusieurs reprises chez Almodóvar. Dans un appartement à la décoration improbable -bravo à la direction artistique – Libertad et son fiston, déjà jeune adulte, vivent aussi coupés du monde que possible. Dans cet univers imaginaire (et chaque minute de La Piedad a effectivement l’air de sortir d’une autre dimension), ils n’obéissent qu’aux règles de cet amour maternel dévorant et implacable.

Tel une sorte de Matthew Barney potache, Casanova possède un réel talent pour composer des tableaux puissants, à la beauté étrange et brutale. Certains de ses effets sont certes trop criards (l’irruption tonitruante de musique classique ou de vomi, ou même les deux en même temps), mais ses scènes dépassent le stade du gag en étant portées par une folie singulière qui tangue autant du côté de l’horreur que de la comédie. D’ailleurs, si la dimension camp de La Piedad est joyeusement mise au premier plan, l’humour y est moins terre à terre et bas du front que celui de Pieles. Il est ici d’une absurdité plus élaborée, d’un malaise grotesque au sens le plus riche de l’adjectif.

Théâtral mais pas figé pour autant, ce huis-clos incestueux pourrait avoir l’air épuisant (il l’est par instants) mais un vent de folie vient le rendre plus aérien et inquiétant que prévu. Casanova raconte un amour maternel sans porte de sortie, si géant qu’il devient comme la plus implacable, mais aussi la plus pathétique et bouffonne des dictatures, n’hésitant pas à plonger les pieds dans le plat en mettant directement en scène un parallèle avec la mère patrie de… la Corée du Nord. Mauvais goût ? Oui mais fièrement assumé. Et politiquement utilisé. C’est d’ailleurs justement le jusqu’au-boutisme de ce délire surréaliste qui fait son sel.

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par Gregory Coutaut

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