A voir en ligne | Critique : La Llorona

Selon la légende, la Llorona est une pleureuse, un fantôme qui cherche ses enfants. Aujourd’hui, elle pleure ceux qui sont morts durant le génocide des indiens mayas. Le général, responsable du massacre mais acquitté, est hanté par une Llorona. Serait-ce Alma, la nouvelle domestique ? Est-elle venue punir celui que la justice n’a pas condamné ?

La Llorona
Guatemala, 2019
De Jayro Bustamante

Durée : 1h37

Sortie : 22/01/2020

Note :

ELLE PLEURE, L’ENTENDEZ-VOUS ?

Où sont produits les films d’horreurs les plus subversifs ? Sans doute au Japon, aux Etats-Unis, et dans une veine plus auteur : en Autriche également. A savoir des pays où l’Histoire nationale ressemble déjà à un film d’horreur, où l’inconscient collectif souffre encore de traumas non résolus, est encore hantés d’une violence non-expiée. Parmi les pays d’Amérique latine ayant connu la dictature et la guerre civile, le Guatemala est le seul où le génocide des communautés Mayas (250 000 victimes de 1981 à 1983) n’a toujours pas été officiellement reconnu, et demeure aujourd’hui encore un sujet tabou. La violence de cette impunité a de quoi rendre fou.

On avait découvert Jayro Bustamante (lire notre entretien) avec le déjà formidable Ixcanul, récit d’apprentissage immersif et ultra-réaliste situé dans la communauté Maya. On ne l’attendait pas dans le registre du fantastique, mais comment anticiper un film avec deux points de départs supposés être aussi opposés ? D’un coté la réalité de l’immunité politique des anciens responsables du génocide, de l’autre la célèbre légende urbaine de la Llorona, fantôme féminin qui vient faire disparaitre les enfants ? Un tel grand écart (on pense au fantastique politique des Bonnes Manières) est un défi de taille dont Bustamante se tire brillamment, parvenant à faire de La Llorona aussi bien un très bon film politique qu’un très bon film gothique.

La Llorona est un récit de contamination, de pourrissement. Le récit commence avec la question innocente d’une fillette (« pourquoi dit-on du mal de papy sur internet ? ») et le silence glaçant de sa famille en guise de réponse. C’est comme si la mèche de la bombe était déjà allumée, comme si le compte à rebours était lancé vers la folie. Les raisons qui font que le papy en question se retrouve accusé de génocide, personne ne veut en parler, mais elles vont prendre de plus en plus de place. La culpabilité va envahir toute la maison familiale comme une ombre, comme une fuite d’eau impossible à tarir.

Malgré leur grand réalisme, les scènes se parent de détails étranges, à mesure que la justice rattrape le vieux général. Les femmes mayas sont voilées comme des spectres, les manifestants sont presque filmés comme des zombis immobiles, les prières ressemblent à de curieuses incantations. La caméra elle-même vacille, s’éloigne et flotte presque. La photo aux reflets blancs et bleus accompagne le moindre plan de ce huis-clos domestique d’une brume songeuse. Les personnages sont contraints de demeurer cachés dans la maison familiale, et comme dans les plus solides références du genre fantastique, celle-ci se met à traduire leur inconscient. Un inconscient sombre, moisi, au bord de l’écroulement. Un foyer prêt à être balayé par la clameur de la justice à leur porte comme s’il était balayé par le grand méchant loup.

L’horreur est à la porte, mais vient-elle de l’extérieur ou de l’intérieur ? Jayro Bustamante parvient à faire un film basé sur une double tension : celle immédiatement efficace des codes du films de genre utilisés avec élégance, et celle plus cinglante de sa puissante dimension politique, sans que la première prenne le pas sur la seconde.


>>> La Llorona est visible en vod sur UniversCiné

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par Gregory Coutaut

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