Critique : La Liberté

Dans la plaine orientale Corse, Casabianda est un centre de détention très singulier, au sein d’un vaste domaine agricole. Cette prison qu’on dit « ouverte » n’a rien à voir avec les prisons habituelles : à la place des barreaux, des murailles ou des miradors, les arbres, le ciel et la mer… Au fil des saisons, une année durant, Guillaume Massart s’y est rendu afin de comprendre ce que change cette incarcération au grand air. Sous les frondaisons ou sur la plage, la parole des détenus, d’ordinaire passée sous silence, se libère petit à petit…

La Liberté
France, 2017
De Guillaume Massart

Durée : 2h26

Sortie : 20/02/2019

Note : 

LE FANTÔME DE LA LIBERTÉ

De croquignolets marcassins gambadent dans l’herbe. Plus tard, ce sont des chatons – forcément adorables – qui se font la course. La mer, les arbres, le ciel… mais c’est pourtant une prison que filme Guillaume Massart. Une prison « ouverte », quelque part en Haute-Corse : une prison quand même. Dans laquelle on rencontre des hommes purgeant des peines pour « crimes sexuels intrafamiliaux » – aux yeux de la société, probablement les pires des monstres. Voilà un usage bien commode que le terme « monstre » puisque, comme il est dit dans La Liberté, si ce sont des monstres, il n’est nul besoin de les comprendre.

La caméra avance à tâtons dans La Liberté. Elle est d’abord à distance, on ne distingue que des silhouettes, elle tourne autour d’un bâtiment. « Le cadre est beau, le tableau est pourri » prévient l’un des hommes. Peut-on (doit-on) s’approcher ? Trouver la bonne place semble être l’un des enjeux du documentaire. Un visage à contre-jour finit d’un coup par se dévoiler. C’est le cheminement minutieux que le cinéaste opère vers ses interlocuteurs (à moins que ça ne soit l’inverse) dans ce décor pas si loin d’une carte postale. Mais si les murs et barreaux ne se dressent pas comme dans une autre prison, ils sont quand même un peu là. Et la parole elle aussi a besoin de temps pour être délivrée.

C’est un geste humain et qui pourtant pourrait être controversé que fait le cinéaste, en entamant des conversations – au ton parfois léger – avec des hommes comme pestiférés du monde entier. Mais comment questionner la prison sans y entrer, comment comprendre la société en ignorant ceux qui la composent, comment entendre ses lois si l’on ignore ceux à qui elles s’appliquent ? Le film porte un regard complexe sur le système carcéral et sur l’utopie de Casabianda, sur le pardon et la culpabilité, sur cette idée un peu enfantine de la prison comme une punition. Le sujet pourrait être spectaculaire – c’est ce que le film refuse. Le dernier témoignage, glaçant, devrait questionner toutes les certitudes. Et autour de Casabianda, l’horizon lointain reste flou et les nuages lourds.

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par Nicolas Bardot

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