A voir en ligne | Critique : La Femme qui s’est enfuie

Pendant que son mari est en voyage d’affaires, Gamhee rend visite à trois de ses anciennes amies. A trois reprises, un homme surgit de manière inattendue et interrompt le fil tranquille de leurs conversations…

La Femme qui s’est enfuie
Corée du Sud, 2020
De Hong Sangsoo

Durée : 1h17

Sortie : 30/09/2020

Note :

LA PETITE EVASION

Suis-je bouffie ou non ? La Femme qui s’est enfuie s’ouvre par une discussion déjà un peu lunaire où l’on dit tout et son contraire, et qui nous installe en terrain familier (on se sent bouffi car évidemment, on a trop bu la veille – nous sommes bien chez Hong Sangsoo). La parole chez Hong comme chez son père spirituel Rohmer est centrale dans son cinéma : ce sont des films où l’on parle beaucoup, certes, mais ce sont surtout des films sur la parole et sur l’étrange et vertigineux décalage entre la paroles, les actes et les êtres.

Gamhee débarque dans un coin au bord de Séoul, pas loin de la ville mais déjà dans la nature. On est souvent à la bordure chez Hong : parmi les autres mais un peu loin, au petit matin entre le jour et la nuit, entre la sobriété et l’ivresse, entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. La parole renseigne (on prend des nouvelles, on se souvient du passé), mais elle est aussi absurde et cela constitue un formidable moteur de comédie. C’est le cas dans ce nouveau film très drôle où l’héroïne peut parler de son désir de devenir végétarienne la bouche remplie de viande, ou lorsqu’un autre personnage éconduit un voisin mécontent avec une politesse tellement extrême qu’elle en devient génialement passive-agressive.

Rencontrer des gens est, dit-on, un problème. Leur parler en est un supplémentaire. Gamhee dans La Femme qui s’est enfuie fait certaines choses pour la première fois. Et même lorsqu’elle les fait et refait au fil des trois rencontres racontées dans le film, c’est toujours la première fois. « Comment des propos répétés en boucle peuvent-ils garder leur sincérité ? », se questionne t-on de manière ironique dans le long métrage. Comme d’habitude chez Hong, un flou mystérieux est conservé sur la nature de ce qu’on voit : Gamhee rend-elle visite à trois personnes, s’agit-il de trois variations surréelles d’un même personnage ?

Comme souvent chez le cinéaste, il y a ce grand écart entre l’ultra-épure réaliste et la vibration abstraite voire fantastique. Il y a une mise en scène qui se voit (avec ce qu’un zoom peut venir cueillir) et tous ces moments où l’on assiste à des conversations en oubliant la mise en scène, en oubliant qu’on est au cinéma. On a beau dire « comme souvent » ou « comme d’habitude » pour qualifier les films de Hong Sangsoo, il y a toujours un fascinant tour de magie à produire des films qui sont à la fois théoriques et si simples, immersifs et humains.

Car derrière la comédie et les conversations banales se dessine quelque chose de bouleversant. Gamhee est tout le temps là, mais tout le temps en creux. Elle écoute ses interlocutrices, elle observe parfois même leurs vies à travers une caméra-surveillance placée à l’entrée des maisons, comme elle regarderait un passionnant soap. Ce pourrait être un personnage un peu ingrat – c’est tout le contraire. Hong parvient à composer un portrait magnifique de pudeur sur cette héroïne qui ne dit pas, qui porte peut-être un masque, qui s’enfuit peut-être – et Kim Minhee est une nouvelle fois prodigieuse dans ce rôle qui semble impossible sur le papier.

Lors d’une scène frappante dans La Femme qui s’est enfuie, alors que jusqu’ici les personnages parlent et parlent parfois pour ne rien dire, l’héroïne et la femme à qui elle rend visite se comprennent… sans vraiment dire de quoi elles parlent. Cela, ironiquement, se déroule dans un lieu nommé le « Café ému ». Le ton est d’une grande douceur lors de ces retrouvailles en un lieu parfait car isolé, au bord des montagnes. Cette douceur est aussi teintée d’amertume : « parfois, les gens sont juste comme ça », commente t-on de manière laconique. « On doit prendre soin de nous-mêmes », ajoute t-on. Auprès des autres peut-être, ou dans la solitude d’une salle de cinéma.


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par Nicolas Bardot

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