Critique : Cahiers noirs

Dans un taxi parisien, un homme apprend, par un voyant marocain, que sa sœur est sur le point de mourir. Pour tenter de déjouer la prédiction, le frère entreprend alors un voyage fictif entre le Maroc, Israël et Paris. A partir d’extraits de la trilogie écrite et réalisée par Ronit et Shlomi Elkabetz et d’archives familiales, Cahiers Noirs – Viviane et Cahiers Noirs – Ronit nous invitent dans l’intimité d’une famille judéo-arabe. Une histoire imaginaire où le frère et la sœur revisitent le passé et le présent pour défier un avenir implacable. Mais l’ombre de la prophétie plane toujours, dans la vie comme au cinéma.

Cahiers noirs I – Viviane & Cahiers noirs II – Ronit
Israël, 2021
De Shlomi Elkabetz

Durée : 1h48 & 1h40

Sortie : 29/06/2022

Note :

A MA SŒUR

A travers l’histoire du cinéma, on peut citer beaucoup d’exemples de cinéastes ayant filmé leur épouse ou leur mère, mais combien ont filmé leur sœur ? Shlomi Elkabetz, l’auteur de ce double portrait cinématographique, est en effet le frère de l’actrice israélienne Ronit Elkabetz, décédée en 2016. Ensemble, ils ont coréalisé trois films en dix ans : Prendre femme, Les Sept jours et Le Procès de Viviane Amsalem. Dans cette trilogie, Ronit était à la fois derrière et devant la caméra puisqu’elle en interprétait brillamment l’héroïne récurrente, Viviane.

Présenté en un seul film lors de sa première mondiale à Cannes l’an dernier, Cahiers noirs sort aujourd’hui en deux volets, le premier intitulé Viviane et le second Ronit. Viviane brosse un portrait familial dévoilant combien le personnage de Viviane est inspiré de la propre mère des cinéastes, Miriam. Ronit est quant à lui un making of au sens plus classique, capté pendant et après le tournage de leur dernier film, alors que l’actrice est à la fois affaiblie par la maladie et galvanisée par le succès du film. On pourrait dire que le premier volet témoigne de la naissance de Ronit Elkabetz non pas en tant qu’actrice (puisqu’ à l’époque elle avait déjà été repérée à plusieurs reprises chez Amos Gitaï) mais en tant que cinéaste, tandis que le deuxième la place face à son propre départ dont elle semble (est-ce une projection ?) avoir conscience.

Pour cette raison, Ronit est le volet le plus directement émouvant de ce diptyque. Face à lui, Viviane a parfois l’air un peu trop théorique, même si c’est lui qui lance les pistes d’écriture les plus singulières. Ce premier volet est moins un portrait de Ronit qu’un portrait familial croisé. Dans cette partie, Shlomi Elkabetz propose des images brutes et intimes, captées à la volée dans une cuisine ou à l’arrière d’un taxi ou qu’il mélange même avec des extraits de leurs films. A l’aide d’effets de montage audacieux, Ronit l’actrice, Viviane le personnage et Miriam le modèle se superposent, se parlent et se répondent.

Cette effet saisissant, récurrent mais un peu noyé dans un ensemble qui prend son temps (et qui n’aurait pas trop perdu à nos yeux à être raccourci) n’est pas le seul succès du film. Cahiers noirs mélange la fiction au documentaire, l’intime à l’œuvre d’art, quitte à ce qu’on ne distingue plus très bien le vrai du faux. Cette manière très personnelle de parler du processus de création trouve son point d’orgue dans ces scènes vertigineuses : Shlomi se faufile dans des salles de cinéma pour filmer les écrans géants où le visage de sa sœur nous regarde encore droit dans les yeux, et semble s’adresser chaleureusement à lui depuis l’au-delà.

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par Gregory Coutaut

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