Critique : Anatolia

Dans un pensionnat isolé dans les montagnes d’Anatolie, les élèves doivent obéir à des règles strictes. Une nuit d’hiver, le chauffage tombe en panne. Memo, 12 ans, demande à son ami Yusuf s’il peut dormir dans son lit mais ce dernier refuse par crainte du qu’en dira-t-on. Le lendemain matin, Memo est retrouvé sans connaissance.

Anatolia
Turquie, 2021
De Ferit Karahan

Durée : 1h25

Sortie : 08/06/2022

Note :

LA MAUVAISE ÉDUCATION

Perdu dans un montagne difficile d’accès, le pensionnat de Anatolia semble comme coupé du monde moderne. Dans quel coin de la Turquie nous trouvons-nous ? A cette question de leur maitresse, les élèves eux-mêmes ont du mal à répondre avec assurance et à bien placer leur doigt sur la carte du pays. La neige qui tombe dru trouble les repères, et pas seulement géographiques. Malgré les téléphones portables des adultes (qui fonctionnent d’ailleurs tellement mal qu’ils en sont obsolètes), il y a en effet de quoi se demander à quelle époque on se trouve réellement, face à ces méthodes disciplinaires d’un autre âge où les jeunes garçons subissent un quotidien à la dure.

Qu’est-ce qui fait tenir cet édifice scolaire debout ? Pas grand chose, tant tout y semble sur le point de se briser (à commencer par de fort symboliques serrures), tant les tiroirs de l’infirmerie sont vides et tant le vent extérieur balaie sans pitié des couloirs glacés où il n’y a de toute façon aucun banc où se poser quelques secondes. Qu’est-ce qui fait tenir l’institution scolaire debout ? La peur de l’autorité, inculquée avec zèle brutal. Dès la première scène, celle-ci est poussée vers une violente absurdité, quand des gamins sont obligés de prendre leur douche hebdomadaire (oui, hebdomadaire) à l’eau froide par -37°.

La caméra nerveuse et dynamique du cinéaste Ferit Karahan (lire notre entretien) colle aux basques de son jeune protagoniste. Errant de couloirs labyrinthiques en bureaux vides à la vaine recherche d’un adulte responsable pour sauver un camarade malade, l’enfant se retrouve uniquement face à des murs, réels ou figurés. Le regard déjà accablé, sans personne pour l’écouter, il devient presque fantomatique. Cette intrigante piste (soulignée par un clin d’œil inattendu au dessin animé Casper) laisse pourtant place à une autre surprise narrative. Le film délaisse en effet progressivement son héros pour s’attacher au groupe des adultes.

Profs, intendants ou proviseur, tous ces hommes sont d’abord certains de la légitimé de leur autorité. Anciens élèves devenus adultes, ils reproduisent la violence qu’ils ont subie. Mais à mesure que la tempête de neige empêche toute échappée et toute initiative de leur part, leurs masques virils se fissurent et ils doivent faire face à l’évidence : la peur ne les a pas quittés. Loin d’en avoir fait des adultes responsables, ces méthodes éducatives brutales en ont fait des prisonniers. Plutôt que les limites du contrôle et de l’autorité (le film ne s’aventure pas vers une légitime rébellion étudiante), ce que montre alors Anatolia c’est le cercle vicieux de l’oppression, la ronde sans fin de la violence masculine, tel un serpent qui se mord la queue. Coincés dans un bâtiment sans issue (tangible ou symbolique), quel avenir attend ces hommes et ces garçons à la sortie de l’école ?

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par Gregory Coutaut

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