TIFF 2023 | Critique : And the King Said, What a Fantastic Machine

Du tout premier appareil photo aux 45 milliards de caméras existant dans le monde aujourd’hui, une analyse de l’obsession de l’humanité pour l’image filmée.

And the King Said, What a Fantastic Machine
Suède, 2023
De Axel Danielson & Maximilien Van Aertryck

Durée : 1h29

Sortie : –

Note :

LA MACHINE INFERNALE

Réalisé par le duo Franco-Suédois Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck, And the King Said, What a Fantastic Machine (quel titre!) est un ambitieux documentaire qui n’a pas peur de lancer des ponts par dessus le plus vaste des sujet : notre rapport aux images. De l’invention de la photographie par Nicéphore Niépce aux 45 000 milliards de caméras existant aujourd’hui sur la planète, le film ne craint pas de brasser large et de plonger avec une énergie et un enthousiasme communicatifs dans un kaléidoscope d’images aussi vaste qu’un océan. Un océan si vaste qu’on ne sait pas immédiatement dans quel direction nager.

And the King Said, What a Fantastic Machine est un gigantesque zapping d’un siècle et demi d’images publiques et privées, un flux électrisant jamais interrompu par d’éventuels entretiens ou autres interventions d’experts. Guidés par une voix off ludique, nous sommes seuls face à l’immensité de ce montage, dont l’échelle vertigineuse (de la Cicciolina au cosmos, des premiers pionniers de la technique aux images tournées par les partisans de Trump lors de l’invasion du Capitole à Washington) prend sans doute une dimension supplémentaire sur grand écran. La forme est pop, excitante, avec une large place laissée à l’humour ou au spectaculaire, quitte à parfois menacer de virer à la compilation aux effets un peu faciles. Mais en se mettant ainsi le spectateur aisément dans la poche, les cinéastes savent justement bien ce qu’ils font.

Si le fil directeur de ce documentaire-tourbillon n’est pas immédiatement flagrant, c’est peut-être qu’il est double. En interrogeant la manière dont le cerveau humain réagit aux images qu’il reçoit et celles qu’il choisit de générer en retour, Danielson et Van Aertryck semblent raconter une double histoire : celle de la transmission du savoir et celle de la transmission de la bêtise. Il faut voir Leni Riefenstahl, souriante de fierté, expliquer son travail avec pourtant beaucoup de superficialité, où encore le faible niveau d’analyse des habitudes des spectateurs de Netflix par un de ses dirigeants. Cette machine fantastique nous donne un pouvoir immense, mais son emprise de miroir fascinant est si forte que nous comprenons à peine ce pouvoir, que nous en soyons détenteurs ou victimes.

Le montage parallèle entre purs divertissements, filtres narcissiques, journaux télés aux montages racoleurs et images de propagande politique (où Macron est d’ailleurs inclus parmi les dictateurs) n’est ni dupe ni superficiel. Ce que révèle cet ensemble hypnotisant, c’est justement la manipulation de notre temps de cerveau disponible. Une manipulation parfois consciente, parfois volontaire. Ces passionnantes pistes philosophiques mériteraient des analyses plus profondes que celles qu’aborde And the King Said…, qui pèche peut-être par une trop grande gourmandise à force de piocher dans un méga buffet d’idées. Produit par Ruben Östlund et déjà sélectionné dans les plus grands festivals en quelques semaines à peine (Sundance, Berlin et aujourd’hui CPH:DOX) ce documentaire possède avant tout une énergie grisante à laquelle il est difficile de résister. Mission accomplie pour cette machine fantastique.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article