Festival National du Film d’Animation | Entretien avec Lucas Malbrun

Réalisé par le Franco-Allemand Lucas Malbrun, Margarethe 89 se déroule, comme le suggère son titre, à la fin des années 80, aux dernières heures de la RDA. Le jeune cinéaste met en scène de manière étonnante ce récit historique avec un trait naïf et coloré, presque enfantin, dont l’héroïne est une punk qui se retrouve internée. C’est l’une des singulières curiosités à découvrir cette semaine au Festival National du Film d’Animation de Rennes.


Quel a été le point de départ de Margarethe 89 ?

Le point de départ du film m’est venu d’une envie de raconter le personnage de Gretchen dans Faust. C’est une histoire qui m’accompagne depuis toujours, que ce soit par la littérature avec Goethe ou le cinéma avec Murnau. Dans ces œuvres, l’amour que la très jeune Gretchen porte à Faust est fondé sur une imposture : il se fait passer pour un homme jeune et pieux alors qu’il s’agit d’un vieillard qui vient de signer un pacte avec le diable. Cette figure de l’homme manipulateur, lui-même manipulé par un tiers – chez Faust, le diable en personne – m’a semblé être intéressante à exploiter dans le contexte de la RDA. C’est à ce moment que j’ai découvert le témoignage d’une femme d’Allemagne de l’est qui raconte qu’elle s’est faite espionner durant des décennies par son mari. Cette trahison l’a emmenée au bord de la folie tout comme Gretchen dans Faust.



Pouvez-vous nous parler de votre technique d’animation et de ce style naïf pour traiter de thématiques assez chargées d’un point de vue dramatique ?

J’ai utilisé des outils populaires comme le feutre et le crayon pour définir le style graphique du film. Je me suis inspiré d’artistes d’art brut comme Henry Darger, mais aussi de l’école de Leipzig, un courant d’artistes figuratifs influents en RDA. A l’inverse de ce qu’on a l’habitude de voir, je voulais donner au spectateur une vision très colorée et peu naturaliste de la RDA. A travers cette mise en scène, je voulais montrer l’impact infantilisant du régime sur ses citoyens et plus encore les patientes de la psychiatrie. Je voulais aussi créer un contraste avec l’univers plus sombre de la scène punk underground du film.



Quelles libertés l’animation vous a-t-elle offertes pour traiter d’un récit qui se déroule dans un contexte désormais historique ?

Je suis né juste après la chute de la RDA, je n’ai donc pas connu ce pays. Mais le régime a laissé beaucoup de traces que ce soit à travers les documents de la Stasi ou les témoignages d’anciens habitants. L’animation m’a permis de recréer ce pays d’une façon très personnelle. Atteinte de paranoïa étatique, la RDA a mis en place des moyens de répression qui pourraient presque paraître surnaturels. Il s’agissait de jouer avec la psyché des dissidents et de la détruire de façon dissimulée. Ce monde où la réalité frôle le surnaturel m’a semblé intéressant à exploiter en animation.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

J’ai beaucoup été influencé par les films de Satoshi Kon, notamment Perfect Blue. Mais j’aime aussi le cinéma de Robert Altman, Jane Campion, Dario Argento …

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?

J’ai beaucoup aimé le ton étrange d’Atlantique de Mati Diop et Pacifiction d’Albert Serra. En bande dessinée je suis impressionné du travail d’écriture de Nick Drnaso, qui a encore sorti un livre incroyable avec Acting Class.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 22 mai 2023. Un grand merci à Jean-Charles Canu. Crédit portrait : Marie Larrivé.

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