Berlinale 2019 : notre bilan

La Berlinale 2019 s’est achevée il y a quelques jours. L’équipe du Polyester était présente tout du long (de la veille au lendemain, même) et après plus d’une cinquante de films vus, nous défaisons nos valises et vous faisons part de nos enthousiasmes et découvertes.

69 ANNÉE POLITIQUE

Clap de fin pour Dieter Kosslick. Après 18 ans à la tête du festival allemand, après en avoir fait petit à petit le gargantuesque festin qu’on connait (en créant les sections NATIVe, Perspective du cinéma Allemand, Berlinale Talents, Culinary…), après avoir fait venir de plus en plus de public chaque année, l’homme à la célèbre écharpe rouge a signé sa toute dernière sélection : la 69e. On aimerait pouvoir dire que cet au revoir fut un point d’orgue, ce fut plutôt un sage bilan. Car cette année, encore plus que les précédentes, les trésors étaient en grande partie à chercher du coté des foisonnantes sections parallèles (non-curatées par Kosslick). Soit dit en passant : cette année encore, ayons donc une pensée pour les observateurs contraints (par leur rédaction ou juste par leur paresse) de ne pas mettre le nez en dehors de la compétition. Cela équivaut ici à aller dans un restaurant étoilé pour ne commander qu’un plat sans accompagnement, sans entrée ni dessert.

Resserrée à l’extrême (16 films seulement, suite à la suppression soudaine du Zhang Yimou), la compétition comprenait sans doute un trop grand nombres de films classiques et pépères. Kosslick avait réuni quelques habitués de Postdamer Platz, parfois pour le pire – mais aussi pour le meilleur, comme en témoigne l’hommage fort médiatisé à Charlotte Rampling. La réalisatrice espagnole Isabel Coixet a elle-même plaisanté « Avec le départ de Dieter, c’est peut-être la dernière fois que je suis selectionnée ici ». Mais même si cette compétition 2019 fut moins radicale, les films les plus radicaux se sont justement glissés sur les plus hautes marches du palmarès, ouf.

Comme l’an dernier avec Touch Me Not, l’Ours d’or est revenu au film le plus clivant (et donc passionnant) de la compétition. Synonymes est un film imprévisible, d’un culot parfois irritant mais toujours brillant, qui ne ressemble qu’à lui même. C’est aussi ça la Berlinale : laisser des places en compétition pour des films qui seraient jugés trop risqués dans d’autres grands festivals. L’or n’aurait pas non plus été volé par Angela Schanelec, dont le I was Home But fut, de l’avis de nombreux critiques (nous les premiers !) le sommet du festival. Plus de 20 ans après la naissance – justement à la Berlinale – du mouvement de l’École de Berlin, celle qui en fut l’une des plus radicales créatrices devient la toute première réalisatrice allemande à remporter le prix de la mise en scène. Quant aux Français, qui se faisaient de moins en moins nombreux à Berlin ces dernières années, ils se partagent les deux plus hautes marches du podium.

Absent de la compétition, le Brésil était présent un peu partout dans les sections parallèles avec pas moins de 8 films (dont les beaux Divino Amor, Querencia et A Rosa azul de Novalis). Mais le pays qui était sur toutes les lèvres cette année, c’était la Chine. Le retrait du film de Zhang Yimou de la compétition, pour des « problèmes de post-production », alors que le festival entamait déjà sa deuxième moitié, n’est certainement pas passé inaperçu. La coproduction Chine/Hong Kong Better Days fut également retirée de la section Génération quelques jours avant l’ouverture. Quant à Lou Ye, il a expliqué qu’il lui a fallu remonter son film The Shadow Play pendant deux ans avant de pouvoir le montrer à l’étranger (et hélas cela se voit au résultat). A la fin du festival, la simple apparition du logo du gouvernement chinois au générique des films faisait grincer des dents.

Mais malgré cette ombre, la Chine est restée l’un des pays à la présence la plus remarquable cette année, à la fois en quantité (7 films) et en qualité. Si le superbe Öndög, production mongole de Wang Quan’an, fut à nos yeux le principal absent du palmarès, la fresque So Long My Son de Wang Xiaoshuai a remporté deux prix d’interprétation mérités. Dans les sections parallèles, Vanishing Days, From Tomorrow On I Will, The Crossing et A Dog Barking at the Moon ont achevé de faire de la Chine la locomotive d’une présence asiatique de qualité. Citons la fable bhoutanaise The Red Phallus, la tragédie turque A Tale of Three Sisters le docu-fiction thaïlandais Nakorn-Swan, ou encore deux chouettes curiosités venues du Japon : la comédie musicale maboule We Are Little Zombies, et la comédie dramatique 37 seconds (prix du public au Panorama).

Les sections parallèles ont été l’occasion de confirmer, par ricochet, l’excellent niveau de l’édition 2019 de Sundance : Divino Amor et We Are Little Zombies y avaient fait leur première mondiale quelques jours auparavant, ainsi que les très impressionnants Monos et The Souvenir. Elles confirmèrent également que la grande proportion de réalisatrices (43%, dont 7 sur 16 en compétition !) n’était pas un hasard ou un coup de communication, surtout de la part d’un festival qui, ces dernières années, a régulièrement sélectionné plus de 30% de femmes cinéastes. Cette année encore, elles étaient présentes partout (jusque dans les rétrospectives, dédiées cette fois exclusivement à des réalisatrices), avec des projets inattendus. La section NATIVe s’est ouverte avec Vai, élégant long métrage co-signé par 9 réalisatrices océaniennes, la section Génération a montré The Body Remembers When the World Broke Open, un étonnant plan-séquence d’1h30 mettant en scène deux femmes de minorités indigènes, et à Berlinale Talents, la réalisatrice suédoise Erika Lust a donné une conférence sur le porno féministe à un public mixte, curieux et enthousiaste.

Les voix de ces femmes furent un précieux contrepoint à la misogynie qui a empoisonné l’actualité récente française. Des clubs de sales mecs, on en a vu aussi à la Berlinale. La plupart du temps, pour dire qu’on pouvait y réchapper comme dans la farce féministe galvanisante venue de Macédoine du Nord God Exists Her Name is Petrunya, ou (de façon plus ambigüe) dans le trip grec The Miracle of the Sargasso Sea ou parmi les enfants-soldats du Colombien Monos. Mais certains films nous ont hélas paru céder à la fascination pour la violence masculine et son soi-disant romantisme (The Golden Glove et Piranhas – dont on se serait bien passé au palmarès).

Plus encore qu’une violence virile, c’est la violence des jeunes qui a été le fil rouge de cette édition. Un questionnement angoissant : quel monde (de merde) laissons-nous aux enfants ? Et quelles portes de sortie s’offrent à eux : brutalité, folie, imaginaire, rien ? L’un des meilleurs exemples en fut la comédie horrifique Die Kinder der Toten (l’un des très bons films vus au Forum, aux cotés de Fourteen et Monstri), dans lequel l’Autriche se retrouve hantée par son Histoire refoulée. Qui aurait cru que cette adaptation d’Elfriede Jelinek, produite par Ulrich Seidl, et signée de deux jeunes inconnus, serait le plus grand éclat de rire de la Berlinale? Il faut par ailleurs noter que cette édition 2019 contenait une proportion inédite de premiers films (33% des films sélectionnés !). Plutôt qu’une clôture, cette dernière édition de Dieter Kosslick fut donc aussi un tremplin sur l’avenir. Une ouverture parfois anxieuse, mais pleine de promesses.

Retrouvez tous nos articles concernant cette Berlinale, en attendant de nouvelles critiques ces prochains jours…

Gregory Coutaut

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