A voir en ligne | Critique : Synonymes

Yoav, un jeune Israélien, atterrit à Paris, avec l’espoir que la France et le français le sauveront de la folie de son pays.

Synonymes
Israël, 2019
De Nadav Lapid

Durée : 2h03

Sortie : 27/03/2019

Note : 

LA LANGUE DE CHEZ NOUS

Aussi extravagant qu’il puisse paraître, Synonymes, le nouveau long métrage de l’Israélien Nadav Lapid (lire notre entretien), s’inspire librement de sa propre expérience lorsqu’il a débarqué à Paris au début des années 2000. Mais à l’autofiction transparente, le film préfère la mise en scène et la projection. A l’image de L’Institutrice, Lapid privilégie l’artificialité comme un outil pour accentuer les émotions, la distanciation pour voir les choses de plus près. C’est un pari audacieux qui prend le risque du ridicule ; c’est aussi un panache particulièrement payant dans le cinéma funambule et de plus en plus passionnant du réalisateur.

La surprenante introduction du long métrage nous fait assister à la renaissance d’un mystérieux protagoniste. Nu, Yoav (la révélation Tom Mercier, qui compose quelque chose d’unique) ressuscite dans un appartement parisien, avec deux Bons Samaritains qui prennent soin de lui. C’est sur une dynamique de comédie que le film s’ouvre, Yoav frappant aux portes les fesses à l’air avant d’être adopté par un curieux couple. Car si le film est sophistiqué, il n’oublie pas d’être drôle ; s’il prend le cinéma très au sérieux, ça n’empêche pas Nadav Lapid d’avoir du recul sur lui-même. Yoav renaît, et doit réapprendre à parler. Il a rompu avec l’hébreu et ne désire plus parler que le français.

Est-ce un film sur Israël ? Est-ce un film sur la France ? Est-ce un film sur l’identité ? Est-ce un film sur le langage, sur le corps ? Synonymes est tout cela à la fois puisque tout est lié. Yoav n’a plus que son corps – littéralement – mais les mots peu à peu vont venir. Avalés d’un dictionnaire, puis scandés de manière hypnotique, une logorrhée à renverser les murs. Synonymes est un film superbe sur la langue, dans lequel Lapid fait un usage très musical du littéraire. Cela pourrait être cérébral, c’est en fait très viscéral – à l’image d’un film au traitement souvent sensuel, à la tension homoérotique qui rappelle le travail du réalisateur sur Le Policier.

Yoav, portant son manteau comme une cape, est comme une tache moutarde dans la foule parisienne. La caméra est très proche, épure, dénude. Il y a un courant fort, un souffle, une pulsion dans ce film électrique. Hors normes, comme sa poésie absurde, ses décrochages où l’on réinterprète un vieux tube israélien de l’Eurovision des années 70. C’est aussi l’un des trésors de Synonymes, long métrage qu’on serait tenté de ne percevoir que comme politique. La place laissée au poétique – par l’usage des mots, du corps, du sens – est remarquable, surprenante, excitante.

Qu’est-ce qui constitue l’identité d’une nation ? On devine en creux ce qui a pu pousser Yoav à quitter Israël. Mais le film fait également un portrait qui n’est pas tendre pour la France d’aujourd’hui. On ânonne la Marseillaise d’une manière à rendre encore plus évident le ridicule de cet hymne guerrier. On énonce des vérités sur la façon dont les femmes doivent être traitées en France, dont les homosexuels doivent être respectés – ce qui, dans le contexte actuel, est d’une ironie noire. Mais la France ici semble toujours se draper d’une dignité qui tient pourtant de l’illusion. De la mise en scène, comme ce déguisement qu’enfile le héros vers la fin du film. C’est là le va-et-vient passionnant auquel Nadav Lapid nous convie : la vérité nue derrière le jeu de masques, le sens et le non-sens dans ce long métrage virtuose.


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par Nicolas Bardot

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