Berlinale | Entretien avec Lau Charles

Juste le quotidien d’enfants turbulents dans leur monde : Casa chica (présenté en compétition courts de la Berlinale) nous immerge dans une réalité à hauteur d’enfants, mais le film ne se limite pas à cette formule parfois un peu creuse. En basculant audacieusement la narration entre la sœur et le frère, la Mexicaine Lau Charles enrichit avec intelligence les points de vue de l’enfance sur la famille et l’expérience de sa reconstitution. Un décor qu’on croit familier mais auquel Lau Charles apporte sa personnalité. La réalisatrice est notre invitée et nous présente ce beau film qui figure dans notre dossier des meilleurs courts de la Berlinale.


Quel a été le point de départ de Casa chica ?

Le terme casa chica (petite maison) fait référence à une forme de concubinage dans la société mexicaine, où certains hommes mariés maintiennent une famille secondaire – une femme et des enfants – séparée de leur famille primaire, connue sous le nom de casa grande (grande maison). C’est mon histoire. J’ai toujours su que j’avais une demi-sœur, quelqu’un de mon âge qui partageait presque mon nom. Il y avait toujours un sentiment persistant que quelqu’un d’autre comme moi existait, quelqu’un que mon père pourrait embrasser pour lui souhaiter bonne nuit.

Pendant la pandémie, je me suis lancée dans un projet de recherche à la fois documentaire et picturale. À travers des conversations avec ma mère et mon frère, j’ai cherché à reconstruire les souvenirs fragmentés de cette famille parallèle qui avait occupé mes pensées pendant si longtemps. Alors que le monde s’arrêtait, une petite caméra est devenue l’outil parfait pour scruter le passé.

Chaque membre de ma famille se souvient de la douleur de cette période de manière fondamentalement différente. Je me suis accrochée aux souvenirs fragmentés d’une fillette de six ans ; Ma mère a revécu ses expériences, celles des luttes d’une mère célibataire. Mais ce qui m’a le plus frappée, c’est l’histoire de mon frère : un garçon de onze ans qui est devenu mon gardien et mon protecteur, mais qui est aussi devenu un adulte de manière à la fois fragile prématurée. Réaliser que « notre histoire » était composée de perspectives si diverses est devenu l’épine dorsale de Casa chica. À la base, c’est un hommage à mon complice le plus intime : le garçon qui a livré un millier de batailles pour que je puisse continuer à jouer – mon grand frère.

Comment avez-vous eu l’idée de cette narration suivant deux points de vue, en deux parties, suivant la sœur d’abord et le frère ensuite ?

L’idée me trottait dans la tête depuis plusieurs années. Dans mon précédent court-métrage Olote, je voulais également explorer une double perspective, car je voulais contraster les émotions et les expériences d’un enfant tueur à gages avec celles d’une fille orpheline à cause de la guerre contre la drogue au Mexique. Cependant, je n’ai pas pu faire en sorte que le scénario soutienne pleinement cette idée.

Lorsque j’ai commencé à travailler sur mon film de thèse de premier cycle à l’école de cinéma, j’ai réalisé que je devais explorer à nouveau ce concept, cette fois-ci, en prenant le risque d’un échec complet. Ce qui m’importait le plus, c’était d’essayer de capturer le fonctionnement de la mémoire. Mon frère et moi avons vécu les mêmes événements dans notre enfance, mais en raison de nos différences d’âge et de sexe, nos souvenirs sont distincts. Il était crucial pour moi de représenter cela dans tous les aspects du court métrage.

Par exemple, la mise en scène et la photo changent en fonction du point de vue dans lequel nous nous trouvons, reflétant ce dont chaque personnage se souvient et ce qui l’a le plus touché. Dans la conception sonore de Jorge Leal Carrera, nous avons cherché à ce que le point de vue de Valentina soit plus éthéré, tandis que la perspective de Quique nous entoure d’un son 5.1, fournissant plus de couches et d’informations sur la réalité qui l’entoure. De même, le département artistique a subtilement ajusté les éléments, en déplaçant des objets ou en plaçant certains accessoires au premier plan, selon que la scène était vue à travers les yeux de Quique ou de Valentina. Bien que cette structure ait été soigneusement conçue dès l’étape du scénario, en réalité, chaque personne impliquée dans la réalisation du film a apporté sa propre vision de cette double perspective.



Pouvez-vous nous en dire davantage au sujet de votre collaboration avec votre directeur de la photographie Ángel Jara Taboada ?

Travailler avec Ángel a été l’une des plus belles collaborations de ma vie. Dès le départ, nous savions que nous voulions aborder la mise en scène et la photographie avec une esthétique de type documentaire. Cela signifiait éviter les trépieds et les grandes lumières sur le plateau. Nous avions besoin que les décors fonctionnent à 360° pour que les enfants puissent se déplacer librement et jouer en temps réel. C’était aussi un plaisir de travailler avec un peu plus de téléobjectifs pour la perspective de Valentina, en rapprochant la caméra d’elle et, même dans le processus de montage, créer un sentiment de mémoire fragmentée façonnée par des textures et des souvenirs interrompus.

Du point de vue de Quique, nous avons joué avec des objectifs légèrement plus larges, créant une plus grande sensation d’espace. Nous avons également géré le rythme interne de chaque scène différemment. Avec Quique, nous nous sommes penché.es vers des prises plus longues, permettant aux scènes de se dérouler à un rythme plus prolongé et organique.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

C’est une question tellement difficile ! J’admire de nombreux cinéastes, même si parfois ce n’est pas nécessairement pour l’ensemble de leur œuvre, mais plutôt pour un film en particulier. En ce sens, Tomboy de Céline Sciamma, Boyhood de Richard Linklater, Tótem de Lila Avilés, Aftersun de Charlotte Wells, 20 000 espèces d’abeilles d’Estibaliz Urresola Solaguren, et le plus récent ajout à ma liste, El Mensaje d’Iván Fund (que j’ai vu à la Berlinale), sont tous de grandes inspirations. Ce sont les films qui me font réfléchir : j’espère qu’un jour je pourrai faire un long métrage tout aussi puissant et émouvant.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Outre El Mensaje, dont j’ai parlé plus tôt, j’ai eu l’occasion de voir Little Trouble Girls, écrit et réalisé par Urška Djukić, à la Berlinale. J’ai été profondément émue par le film – il est si magnifiquement conçu, plein de subtilité, avec des performances qui semblaient véridiques et fraîches, et un style visuel impeccable. J’ai eu la chance d’assister à une projection où les actrices découvraient leur travail pour la première fois, et pendant la séance de questions-réponses, je leur ai demandé comment cela s’était déroulé. C’était inspirant d’entendre parler de la direction délicate, précise et courageuse d’Urška. Son approche de la mise en scène et de la cinématographie m’a donné de nombreuses idées que j’espère explorer dans mon prochain projet.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 26 février 2025. Un grand merci à Claudia Prado.

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