Festival CPH:DOX | Critique : Phantoms of the Sierra Madre

Trois hommes se lancent dans un rêve d’enfance en partant à la recherche d’une tribu Apache perdue au Mexique, mais se retrouvent dans un endroit très différent de ce qu’ils avaient prévu. Un film sur le fait de ne pas être à sa place – et sur la façon de s’en rendre compte en cours de route.

Phantoms of the Sierra Madre
Norvège, 2024
De Håvard Bustnes

Durée : 1h40

Sortie : –

Note :

ALLEZ RACONTE

Comme beaucoup d’hommes de sa génération, l’écrivain danois Lars K. Andersen a grandi avec une passion pour les Indiens d’Amérique. Une fascination née des westerns qu’il regardait à la télévision, mais aussi des écrits de son autre héros de jeunesse : l’explorateur norvégien Helge Ingstad. Dans le compte rendu de son expédition de 1937, celui-ci exposait une thèse inédite et encore jamais prouvée, à savoir que pour éviter l’humiliation d’être parqués dans des réserves par l’envahisseur blanc, plusieurs tribus Apaches seraient parties se cacher au Mexique, et que leurs descendants vivraient encore secrètement dans la chaine montagneuse de la Sierra Madre. Pour Andersen, c’est là « la preuve que l’aventure existe encore quelque part, qu’il est encore possible de se perdre dans un rêve ».

Le cinéaste norvégien Håvard Bustnes accompagne donc Andersen dans ce voyage un peu fou, loin des circuits touristiques mais en plein dans les fantasmes colonialistes d’un homme qui à la naïveté de croire qu’il peut être le bienvenu partout, y compris chez des populations qui ont bien le droit de disparaitre des radars si ça leur chante. Phantoms of the Sierra Madre suit cette enquête riche en rencontres et rebondissement improbables qui viennent prouver puis démentir la thèse d’Ingstad. Mais tout occupé à démasquer une vérité dont il ne doute pas (même quand on lui sous-entend avec mordant que son héros d’enfance n’aurait été en réalité qu’un grippe-sou profiteur), Andersen ne voit pas l’autre vérité qui se trouve juste sous son nez : tout le monde sauf lui réalise qu’il endosse un rôle qui ne lui revient pas. Pire : au lieu de le faire réfléchir, chaque porte qu’on lui claque au nez ne fait qu’augmenter son désir de fouiner.

« Je suis rentré dans un monde qui n’étais pas le mien, j’ai tenté de raconter une histoire qui n’était pas la mienne » : Andersen parvient à ouvrir les yeux sur la situation (à la faveur d’une crise cardiaque due au stress, rien que ça), mais le documentaire fait le choix intelligent de ne pas se clore sur cette épiphanie sentimentale. Progressivement, Andersen disparait du film et Phantoms of the Sierra Madre change de sujet, laissant aux premiers et uniques concernés le soin d’évoquer leur rapport à cette histoire. Or la plupart d’entre eux choisissent le silence. Si le film demeure d’une forme relativement classique, il parvient en effet à poser des questions passionnantes et particulièrement contemporaines : a-t-on le droit de tout connaître ? Peut-on s’accorder le droit de raconter toutes les histoires ? A ce titre, il y aurait d’ailleurs un parallèle intéressant entre le sage Phantoms… et l’ambitieux Dahomey de Mati Diop, tout récemment primé à la Berlinale.

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par Gregory Coutaut

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