Le Monde en soi est l’une des pépites au programme du Carrefour du cinéma d’animation. Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck racontent l’histoire d’une jeune peintre qui prépare une exposition et perd peu à peu pied avec le réel. Le Monde en soi est un court métrage visuellement superbe qui permet de se plonger dans le monde intérieur de son héroïne. Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck sont nos invité.e.s.
Quel a été le point de départ du Monde en soi ?
L’envie de tenter de décrire l’état mental particulier que l’investissement personnel dans sa création nécessite. Une immersion qui transfigure la banalité du quotidien et emplit tout, prend toute la place dans la vie et amène à un déséquilibre psychique difficile à maîtriser, à la fois dangereux et fertile. C’est un film sur l’hypersensibilité. Sur le plein et le vide. Sur les fenêtres. Sur les passages.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur le style d’animation que vous avez privilégié pour raconter cette histoire, où la peinture joue un rôle central ?
Le choix de la peinture animée nous semblait évident pour parler en profondeur de peinture. Dans les scènes en couleur, on l’utilise pour exprimer le trop-plein de la « vie active », urbaine. Les encres colorées saturent l’image de teintes soutenues, de plus en plus violentes à mesure qu’Elisa plonge dans une perception de plus en plus exacerbée de la réalité. Ce style contraste avec l’animation de dessins des scènes d’hôpital, où le vide est omniprésent, où le trait noir esquisse dans la page blanche un espace incertain, flottant, presque abstrait, des personnages perdus. Deux univers qui s’opposent. Deux moments de la vie d’Elisa.
La gageure était de rendre graphiquement ces différentes ambiances, pour des raisons de construction narrative, mais aussi les divers types d’œuvres artistiques que fait le personnage d’Elisa, afin que le public comprenne ses questionnements et ses tâtonnements par rapport à sa pratique : croquis captés sur le vif au crayon ou au fusain, peintures à l’huile longuement retravaillées à la poursuite d’un style, dessins jetés sans y penser, crachés puis rehaussés, comme tachés de couleurs, dessins au doigt trempé dans la gouache faute d’instrument, aquarelles réalisées avec application… jusqu’à l’autoportrait à l’huile qu’on voit au générique de fin, témoignant du long parcours psychologique qu’elle a accompli et de son évolution artistique, qui va avec, du regard plus serein qu’elle pose désormais sur elle-même.
Il y a une dimension hallucinée dans Le Monde en soi. En quoi l’animation vous a-t-elle fourni la liberté nécessaire pour dépeindre le monde intérieur de votre héroïne ?
Pour ce qui est des glissements de la réalité, l’animation permet des évasions plus naturelles, moins tributaires de moyens techniques qu’en prise de vues réelles. On dessine, on peint ce qu’on veut, il suffit de le faire. Pas besoin de planifier des trucages complexes et coûteux, pas besoin de soumettre ses acteurs à des tourments physiques et psychologiques pour les amener à faire ce qu’on veut. On a plus de contrôle sur les éléments, sur les personnages, et aussi sur le montage, on peut être plus précis dans ce qu’on veut exprimer.
Quel.l.es sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Fellini pour ses mensonges qui disent le vrai, sa truculence, son humanité, sa nostalgie… Greenaway pour sa démesure, son esthétique crue et savante… Buñuel pour son humour, ses visions, sa radicalité… Bergman pour son implacable clairvoyance… Lynch, Svankmajer, Maddin, Norstein, les frères Quay, Wes Anderson, la liste est encore longue…
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
Mon XXe siècle et Corps et âme, deux films réalisés par Ildiko Enyedi à vingt ans d’intervalle.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 15 avril 2021. Un grand merci à Estelle Lacaud.
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