Entretien avec Osman Cerfon

Primé à Locarno et nommé en début d’année au César du meilleur court métrage d’animation, Je sors acheter des cigarettes est réalisé par le Français Osman Cerfon. Il s’agit d’une chronique familiale attachante et décalée dont le jeune héros vit avec sa mère, sa sœur… et une ribambelle de messieurs qui ont tous la même tête et apparaissent dans tous les recoins de l’appartement. Je sors acheter des cigarettes est visible en bas de cet article ainsi que sur la chaîne YouTube de Miyu Distribution, qui regorge de pépites et que nous vous encourageons à visiter. Osman Cerfon est notre invité de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Je sors acheter des cigarettes ?

Ça commence par des visions, assez floues, pratiquement de l’ordre du fantasme, mais que j’ai concrétisées à tâtons, au fur et à mesure de l’écriture et des premiers dessins. Ça a été aussi des scènes de la vie quotidienne assez anecdotiques, mais qui me faisaient envie et me parlaient sur les personnages. Certaines ont même survécu dans la version finale du film. Par exemple celle ou il ouvre la bouche pour montrer ses céréales mâchées à sa sœur. 

Pouvez-vous nous parler du style d’animation que vous avez choisi pour raconter cette histoire en particulier ?

Je suis parti sur un graphisme un peu plus réaliste que d’habitude, afin d’asseoir le récit dans un cadre familier et, par contraste, de valoriser les événements fantastiques de l’histoire. Il ne s’agissait pas non plus de tendre vers le photo-réalisme. Le fait d’accentuer les lignes principales, aux dépens des détails, suggère au spectateur une possibilité d’interprétation plus symbolique du récit, sans pour autant lui imposer.

L’idée de départ était de créer une animation sobre mais expressive, ni trop réaliste, ni, à l’inverse, extravagante et surjouée. Si mes films précédents étaient animés sur un modèle de type “papier découpé”, avec des personnages archétypaux et des mouvements très basiques, pour celui-ci je souhaitais plus de finesse et de nuances dans leurs mouvements et expressions. Le but étant de donner une profondeur émotionnelle aux personnages. 

Votre film est drôle et parle d’un sujet poignant, il a des touches de surréalisme tout en s’inscrivant dans le réel. Comment avez-vous abordé ces différentes tonalités lors de l’écriture ?

J’ai pris conscience que que le ton du film était un peu singulier quand j’ai dû faire ma note d’intention. Je ne savais pas trop comment le définir, car il est en effet à la croisée de plusieurs genres, la comédie, le fantastique, la drame familial, voire peut-être même le « thriller psychologique » sur certains aspects. Je me suis dit que ça ressemblait à un travail d’équilibriste et que ça pouvait avoir un côté casse-gueule. Cela s’est mis en place assez instinctivement, je n’ai juste pas lutté contre. C’est sur cette tonalité que j’avais envie de m’exprimer, c’est comme cela que je sentais les choses.

En revanche je n’avais pas anticipé que des gens seraient touchés par le film. Quand, à la lecture du scénario, un ami à moi m’a dit qu’il avait été ému par la fin, j’ai été le premier surpris car je ne me croyais pas capable de de faire des films émouvants. Ma théorie là-dessus est que la plupart des spectateurs, en voyant les situations grotesques s’enchainer au début du film, ne s’attendent pas à ce qu’il glisse doucement vers quelque chose de plus profond. Du coup, ils baissent leur garde émotionnelle. 

En y réfléchissant après coup je trouve ça intéressant que le genre du film soit difficile à cerner, car quelque part c’est un peu comme si, à l’image du personnage principal, il cherchait aussi à se définir une identité. 

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Celui que j’admire par dessus tout est Stanley Kubrick, pour son génie. Et en particulier Eyes Wide Shut. Rien que le titre est saisissant. Juste le fait de l’évoquer me donne envie de le re-revoir. Sinon il y a aussi Igor Kovaliov, un réalisateur russe dont les courts métrages ont été une influence majeure pour moi.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

En animation j’adore la scène indépendante japonaise. Je ne sais pas si c’est par exotisme, mais j’ai l’impression que c’est chez eux que l’animation se renouvelle le plus en ce moment, alors qu’en France on a tendance à s’enfermer dans un certain classicisme (et je ne fait pas exception). Je pense à des auteurs comme Atsushi Wada, Ryo Okawara, Sawako Kabuki… et d’autres encore. L’Europe de l’est avec le polonais Tomek Popakul dont le dernier film Acid Rain est une bonne claque. La Hongrie et notamment les réalisatrices sortant de l’école Mome. Flóra Anna Buda, Nadja Andrasev, Luca Toth, Reka Bucsi. Mais je crois ma plus grosse de ces dernière année a été The Burden de la Suédoise Niki Lindroth von Bahr… Tout est bien dans ce film !

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 janvier 2019. Un grand merci à Luce Grosjean. Crédit portrait : David Hury.

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