Memento Mori : Earth a été l’une des découvertes dans la récente compétition du Festival de Busan. Ce film, premier volet d’une trilogie, dépeint les derniers jours d’une jeune mère condamnée par la maladie. L’imaginaire visuel et le travail sonore sont remarquables dans ce long métrage réalisé par le Vietnamien Marcus Vu Manh Cuong. Il est notre invité de ce Lundi Découverte.
Quel a été le point de depart de Memento Mori : Earth ?
Au printemps 2018, je suis retourné à Hanoï pour me réunir avec ma mère et ma famille à l’occasion du Nouvel An lunaire. C’est la plus grande célébration de l’année dans notre culture, comparable à Noël dans les pays occidentaux. C’est là que j’ai lu pour la première fois le livre Destination of Life de l’auteur Dang Hoang Giang et ce fut une occasion précieuse pour moi de faire face à mes traumatismes non résolus.
J’ai perdu mon père quand j’avais 14 ans. Mon père, qui était alors le pilier de la famille, a reçu un diagnostic indiquant qu’il était atteint d’un cancer stade 4. Il a dû subir une intervention chirurgicale pour enlever les trois quarts de son estomac. Je l’ai vu lutter contre la douleur à la fin de sa vie pendant six mois. Nous avons réprimé cette perte et ne l’avons jamais évoquée dans notre famille pendant des décennies.
Ce type de maladie laisse t-il un choix aux gens ? J’y réfléchissais depuis l’époque de mon père, jusqu’à ce que je lise le livre. L’auteur a réuni des histoires vraies de personnes qui ont passé leurs derniers moments à chercher le sens de la vie. Elles se sont souvent interrogées sur leur propre destin, ainsi que sur celui de leurs proches. Ces personnes voulaient lâcher prise mais hésitaient aussi à partir. Elles étaient prêtes à accepter leur sort et aller de l’avant en paix, tout en aspirant encore à la vie. Ces individus doivent choisir comment faire face à la mort tandis que la vie les quitte peu à peu.
J’ai décidé d’aborder cette question à travers un voyage cinématographique que constitue la trilogie Memento Mori. J’étais déterminé à découvrir comment les protagonistes font face à la question de la vie ou de la mort. Je voulais creuser profondément dans leurs instincts et leurs sentiments, dans leurs heures les plus sombres, pour comprendre et partager leur amour de la vie auprès de ceux qui restent.
Memento Mori : Earth n’a pas seulement été inspiré par les événements évoqués dans le livre, mais aussi par ma propre expérience personnelle. Par exemple, pour les scènes où Hoang s’occupe de Van, une partie de l’inspiration vient de mes souvenirs et de la façon dont mon père traitait ma mère. Elle a été alitée pendant des années à la suite d’un accident vasculaire cérébral alors que mon père était encore fort.
Votre utilisation des couleurs est très expressifs, pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
Nos vies sont hautes en couleur. Chaque couleur a des significations et peut raconter ou représenter tous les aspects de nos émotions. De plus, les couleurs peuvent donner une sensation du temps, ainsi qu’une profondeur à l’image. Le cinéma, depuis la naissance du technicolor, peut utiliser les couleurs comme un outil important. Les couleurs sont un cadeau naturel pour enrichir le langage cinématographique.
Je fais très attention à mon utilisation des couleurs, car cela peut aussi être contre-productif. Pendant les derniers jours et les derniers mois de sa vie, Van est allongée dans son lit dans une maison en bois sombre. L’environnement visuel qui entoure sa maison lui manque. C’est une fille des montagnes qui plantait des fleurs immortelles et du café, donc la nature colorée lui était très familière. Ce dont elle est privée en raison de ses problèmes de santé, c’est quelque chose qui lui manque. Mais son imagination et ses rêves peuvent transcender ses limites.
J’ai décidé d’utiliser le vert et le marron pour les deux tons principaux du film. De nombreux spectateurs nous disent qu’ils ont été impressionnés par le ton de vert éternel et qu’ils se sont sentis familiers avec le ton terreux. En plus de cela, j’utilise également d’autres couleurs, le rouge par exemple, chacune avec sa particularité.
En quoi le son est-il un outil important dans votre narration ?
Pour moi, le son est aussi important que l’image. Le cinéma dispose de tant d’outils pour rendre compte d’une expérience, en mêlant technique et artistique, photographie et de phonographie. Le son a un pouvoir ultime, il peut déterminer vos sentiments, parce que nous, les humains, réagissons instinctivement au son d’une manière très forte.
Dans Memento Mori : Earth, Van est extrêmement sensible au son. Elle est alitée et le son l’aide à imaginer ce qui se passe à l’extérieur. Mais il ne se limite pas à dépeindre la réalité, le son peut aussi dévoiler un monde surréel. Ce film a une narration non-linéaire où les souvenirs, les rêves et la réalité sont en quelque sorte mélangés librement dans le flux des pensées et de l’imagination de la protagoniste. Par conséquent, le son peut contribuer énormément à l’histoire et à son développement.
Au Vietnam, de nombreux cinéastes se concentrent sur ce que nous voyons plutôt que sur ce que nous entendons. Wallsound, avec qui j’ai travaillé pour Memento Mori : Earth, est le plus grand studio de son professionnel du pays. Néanmoins, il est en difficulté depuis longtemps, car l’industrie ne se soucie pas beaucoup du son et les conditions de travail se sont détériorées. Peut-être que je suis un peu différent, car j’aime tellement le processus de travail avec le son – depuis l’enregistrement pendant le tournage jusqu’à la post-production. L’utilisation du son est un voyage créatif en soi pour renforcer la puissance du cinéma.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Je suis cinéphile depuis mon enfance. Je pense que beaucoup de maîtres du cinéma m’ont inspiré, d’une manière que je ne peux ni expliquer ni décrire. Mais je vais en nommer quelques uns pour que vous puissiez avoir une idée de la façon dont le monde du cinéma a eu un pouvoir magique sur moi.
En France, je suis particulièrement impressionné par François Truffaut (et plus particulièrement Les 400 coups) ainsi que par Tran Anh Hung qui est d’origine vietnamienne (L’Odeur de la papaye verte). Je suis un fan de cinéma japonais, de Hiroshi Teshigahara (La Femme des sables) à Hirokazu Kore-Eda (Nobody Knows). Des auteurs américains comme Terrence Malick (Le Nouveau monde), David Lynch (Mulholland Drive) ou Gus Van Sant (Elephant) sont parmi ceux qui m’ont le plus appris sur la mise en scène. Et Krzysztof Kieślowski, avec sa trilogie Trois couleurs, est sans aucun doute une source d’inspiration. Tous les films que j’ai cités appartiennent à ma liste d’œuvres constituant la fondation de mon goût en matière de cinéma.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de différent, de découvrir un nouveau talent ?
Je répondrais correctement à cette question si j’étais encore critique de cinéma. Mais maintenant, je suis réalisateur et je ne peux plus faire comme si j’étais un critique. Cependant, je voudrais exprimer mon opinion sur la façon dont le cinéma a été affecté pendant et après la pandémie et comment s’est développée l’idée selon laquelle l’expérience cinématographique ne nécessite plus de salle de cinéma, ce qui n’est pas facile à accepter pour nous.
En particulier, la consommation rapide sur les plateformes peut avoir des conséquences négatives sur la forme longue du cinéma, qui nécessite du temps et de la concentration de la part du public. C’est un dilemme pour les cinéastes : comment pouvons-nous encore créer une œuvre qui compte vraiment, dans un monde qui a changé rapidement, qu’il s’agisse des comportements des spectateurs comme des méthodes de distribution ?
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 20 octobre 2022. Un grand merci à Tran Phuong Thao. Crédit portrait : Lam Hieu Thuan.
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