Festival des 3 Continents | Entretien avec Jérôme Baron

Le Festival des 3 Continents fête sa 40e édition ! Celle-ci se déroulera à Nantes du 20 au 27 novembre et sera à suivre sur Le Polyester. Jérôme Baron, directeur artistique du festival, nous présente le beau menu de cette édition spéciale…

 

Le Festival des 3 Continents célèbre son 40e anniversaire. Comment avez-vous sélectionné les films du programme spécial 40 films : un état des lieux du cinéma contemporain ?

Cette programmation ne relève ni du Top 40 ni du best of… L’intention a plutôt été de baliser à travers ces 40 titres des évolutions significatives du cinéma contemporain dans la mise à jour de ses valeurs esthétiques progressivement bousculées par la donne numérique. Qu’advient-il du cinéma ? De son rapport au monde, d’un rapport à sa propre histoire, directions que nous avons tenté de suivre selon une appréhension plus géologique qu’historienne. Des films et des auteurs consacrés dont on peut dire qu’ils ont fait « œuvre » (ils ne sont pas si nombreux dans le cinéma d’aujourd’hui) : Wang Bing, Jia Zhang-ke, Tsai Ming-Liang, Hou Hsiao-hsien, Lisandro Alonso, Lucrecia Martel, Apichatpong Weerasethakul, Lav Diaz, Hong Sang-soo… Et puis une série de gestes, intuitifs, intempestifs même qui nous ont donné à penser et à repenser la situation du cinéma dans un environnement où les images se sont plus largement multipliées et sont parfois devenues interférentes, poreuses les unes aux autres : Eric Khoo, Anocha Suwichakornpong, Tariq Taguia, des films militants brésiliens bricolés, un film indien dont les images sont en partie celles des téléphones portables avec lesquels communiquent des marins du Gujarat…

Photo du film La Flor de Mariano Llinás

Parmi les films sélectionnés cette année, il y a un long métrage hors-normes : La Flor de Mariano Llinás. Comment décririez-vous ce long métrage d’une dizaine d’heures ?

Mariano Llinás aime à raconter des histoires. Ce que le cinéma d’aujourd’hui rechigne souvent à faire au bénéfice des séries télés dont le succès s’explique en partie pour cette raison. La Flor est une déclaration d’amour un peu folle, agitée, au cinéma dans un large spectre de ce qu’il incarne : série B, comédie musicale, film d’espionnages parlé dans plusieurs langues, un remake, un film primitif… Tout cela en six parties distinctes (présenté à Nantes en quatre – ce sera le cas de la version distribuée par ARP Sélection) dont le seul point commun est la présence de quatre actrices que le réalisateur a eu le désir de réunir. Le film est joueur, irrégulier, tour à tour inspiré et auto-dérisoire. Il fait suite au précédent film de Llinas, le remarquable Historias extraodinarias qui est malheureusement resté sans distribution en France.

Photo du film Cheerful Wind de Hou Hsiao Hsien, projeté dans le programme spécial Taipei Stories au Festival des 3 Continents

Comment s’est effectué le choix de Taipei pour le programme spécial Taipei Stories ?

Il s’agissait d’enchâsser deux histoires l’une en l’autre. D’un côté la tentation de raconter une brève histoire du cinéma taïwanais, et parallèlement de donner à voir des histoires qui sont aussi des représentations de la capitale de l’île vues par des cinéastes à différentes époques. Le cinéma taïwanais est un jeune cinéma, il a un peu plus d’un demi-siècle d’existence véritable. J’ai découvert et revu une centaine de films pour constituer un programme qui comme souvent relève un peu d’une sorte de montage. Des films populaires mal connus chez nous comme The Young Ones de Lee Hsing ou Cheerful Wind de Hou Hsiao Hsien tous deux adaptés de romances de la même écrivaine Chiung Yao, des films invisibles (même à Taïwan) comme I Didn’t Dare to Tell de Mou Toun-Fei, des cinéastes oubliés et importants comme Lin Sheng-cheng (Murmur of Youth) et Chang-Yi (Kwei-mei, a woman)… On peut aussi voir certains films en miroir les uns des autres notamment La Fille du Nil et Millennium Mambo de Hou Hsiao-hsien, deux portraits de jeunes femmes à deux décennies d’intervalle avec le même Jack Kao interprétant une présence fraternelle ambiguë.

Photo du film An Elephant Sitting Still de Hu Bo

Auriez-vous des coups de cœur à nous faire partager dans le programme de cette année ?

Je ne me prononce pas sur les films de la compétition laissant aux jurés et au public le privilège de la découverte de ces neuf films. Puisque le film sortira bientôt en France et sera tristement le premier et le dernier long métrage de son jeune auteur précocement décédé, il me semble que An Elephant Sitting Still de Hu Bo est un film auquel il convient de ménager une attention toute particulière.

D’autres continents, mouvances du cinéma présent, sous la direction de Jérôme Baron, aux éditions Warm

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’ouvrage D’autres continents, mouvances du cinéma présent, édité en parallèle du festival ?

Le livre et le programme des 40 films : état des lieux du cinéma contemporain cheminent l’un avec l’autre. Voir et penser, écrire : nous avons toujours eu la préoccupation d’indissocier dans notre rapport au cinéma plaisir et savoir. Ce livre vient témoigner de cette ambition, d’une contribution du festival à un effort plus large de préciser la manière dont les films que nous voyons aujourd’hui nous regardent aussi. La plupart des films et œuvres évoqués dans le livre trouvent leur correspondance dans la programmation. C’est un projet que j’ai en tête depuis plusieurs années que de soutenir le travail de programmation d’une activité éditoriale dont la résonance serait plus intemporelle. Je souhaite que ce livre puisse être la première étape d’un travail que nous pourrons prolonger malgré les défis qu’il nous faut chaque année relever pour donner sa pertinence et sa cohérence à chaque édition du Festival des 3 Continents.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent au cinéma ?

J’ai à la fois le sentiment d’être toujours plus disponible à l’étonnement et résistant à des emballement trop spontanés (rires) ! Mais pour sûr, certains films récents poursuivent de m’accompagner d’où qu’ils soient venus : À l’Ouest des rails de Wang Bing, Xiao Wu, artisan pickpocket et Platform de Jia Zhang-ke, de nombreux films de Hong Sang-soo ou The Host de Bong Joon-ho… Je me souviens de la sidération provoquée par Miami Vice de Michael Mann… Amsterdam Global Village de Johan Van der Keuken… Le Tango de Satan de Bela Tarr…. Adieu au langage et Le Livre d’image de Jean-Luc Godard… Du soleil pour les gueux de Guiraudie… je pourrais étendre la liste…

Les films sont encore assez nombreux à poser des choses qui résistent à leur dissolution ou encore à la tentation régulière de se replier sur un récurrent et sentencieux « c’était mieux avant« . Mais le cinéma a un autre âge, nous pouvons en être certain. Si je devais en revanche formuler un regret, une nostalgie, elle viserait plutôt la situation du cinéma populaire, celui qu’on dit « grand public ». Il a atteint à de très rares exceptions un remarquable niveau de médiocrité. Le temps où la puissance et l’ambition des studios (aux États-Unis, au Japon, en Inde sans parler de la France car cela remonte encore plus loin) permettaient régulièrement de faire émerger de grands films que tout le monde allait voir est lui révolu. Ce temps-là est bien passé.

Le site du festival

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 14 novembre 2018. Un grand merci à Vanessa Fröchen.

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