Entretien avec Frida Kempff

Remarqué à Sundance en début d’année, Knocking a fait sa première française au Festival de La Roche-sur-Yon et est disponible en exclusivité sur Shadowz. Ce thriller psychologique raconte l’histoire d’une femme qui se demande d’où peuvent bien venir les coups qu’elle entend dans son appartement. La réalisatrice suédoise Frida Kempff signe un film habile, efficace et qui laisse intelligemment de la place à l’imagination du public. Elle est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Knocking ?

Knocking s’inspire d’un court roman écrit par Johan Theorin. Même s’il s’agit d’une œuvre littéraire, celle-ci m’a semblé très cinégénique : je voyais vraiment le film en la lisant. Je suis tombée amoureuse de cette antihéroïne, Molly, et son voyage émotionnel m’a intriguée. Une femme que personne, absolument personne ne croit, qui a été cataloguée d’une certaine manière et qui est manipulée. J’ai également pensé à l’importance du courage civique – le fait de réagir lorsqu’on a le sentiment que quelque chose ne va pas dans la société – et d’être un élément perturbateur. L’histoire en elle-même est resserrée mais elle possède beaucoup de niveaux de lecture. En tant que cinéaste, j’étais également très enthousiaste à l’idée de relever le défi de travailler dans des lieux exigus, sans trop de dialogues et avec beaucoup de choses racontées par le son. Une histoire qui serait plus intérieure qu’extérieure.

L’atmosphère de Knocking vient effectivement de ce qu’on peut ressentir, entendre et deviner – en tout cas de ce qu’on ne peut pas voir. Comment avez-vous pris en compte cet élément durant les différentes étapes de la confection du film : l’écriture, la mise en scène et le montage ?

J’ai travaillé intensément avec tous ces éléments du film, un peu comme s’il s’agissait des sens des protagonistes eux-mêmes, et faire cela m’a permis de créer des espaces. Je devais travailler avec, en tête, le voyage intérieur et extérieur de l’héroïne, et bien sûr cela constituait un challenge. Raconter, mais pas trop raconter, laisser des choses non-dites et faire confiance au public. C’était toujours un équilibre à trouver.

Dans Knocking, le son devient un élément narratif à part entière. Comme une dimension supplémentaire, parallèle. Le son crée un mystère dans le film mais il crée aussi un piège pour le spectateur : qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? J’ai trouvé aussi que plus je me restreignais, plus j’étais spécifique dans ce que je voulais raconter, et plus je laissais de la place pour le public ainsi que pour ce qu’il allait comprendre et ressentir.

Dans le roman original, il y avait deux personnages principaux. La témoin, Molly, et la potentielle victime. Mais ma scénariste Emma Broström et moi-même avions le sentiment qu’il était plus intéressant de laisser la victime de côté dans l’histoire et de nous concentrer vraiment sur Molly. De mettre le public à sa place, qu’il puisse douter en même temps qu’elle. Cela nous a permis dans le script d’ajouter des éléments concernant ce qui est réel et ce qui venait de l’imagination de Molly. Qu’est-ce qui se passe réellement ?

J’ai considéré cela comme un puzzle dont les pièces ne seraient pas toujours dans le bon ordre. C’est comme cela que fonctionne le cerveau – par les fragments de souvenirs et de rêves. Créer la confusion dans la tête du public, c’était mon intention. Est-ce que je peux croire ce que je vois ? C’était un processus très créatif, tout est possible lorsqu’on joue avec l’esprit d’une personne. Je pouvais ajouter tous les éléments de la mise en scène – le son, la musique, les couleurs, le décor, l’esthétique – pour d’écrire son état d’esprit.

Le focus sur le mystère de ce qu’on ne voit pas est essentiellement venu lors du montage. C’était déjà un peu présent dans le scénario, encore un peu plus lors du tournage, mais cette idée du puzzle, la façon dont son cerveau s’ouvre et son voyage émotionnel se déroule, sont beaucoup venues du montage. J’ai eu l’impression de collecter des fragments durant le tournage et que le processus réellement créatif, c’était le montage.

Le décor joue un rôle important dans le récit de Knocking. Comment avez-vous choisi et travaillé sur ce lieu et cet appartement ?

J’ai toujours adoré l’architecture et c’est quelque chose que j’ai beaucoup utilisé dans mes précédents films. Parfois, une idée me vient d’un immeuble que j’ai vu, d’une place ou d’une pièce. Parfois, un immeuble fonctionne comme un personnage. Dans Knocking, j’ai utilisé l’architecture pour décrire l’état d’esprit des personnages. La claustrophobie. Toutes ces marches et ces portes que Molly tente d’ouvrir pour trouver la vérité ; et quand les portes s’ouvrent enfin, personne ne la croit.

L’immeuble, là encore, est un élément externe mais aussi très intérieur. Dans le film, cet immeuble est le symbole de la société. Une femme qui connait la vérité mais qui se retrouve rejetée face à des portes closes. L’homme qui vit au-dessus de chez elle et qui la catalogue comme une citoyenne à qui on ne peut pas faire confiance. C’est une perspective d’outsider : la lutte pour gravir les marches du patriarcat afin de découvrir la vérité.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Alfred Hitchcock, David Lynch et Jane Campion, parmi beaucoup d’autres.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf ?

J’ai eu la chance de voir beaucoup d’audacieux nouveaux films à Sundance cette année. Il y a beaucoup de réalisatrices dans le cinéma de genre qui ont fait leur premier long métrage comme Prano Bailey-Bond avec Censor ou Madeleine Sims-Fewer avec Violation. Deux super films, et je suis très curieuse de voir ce qu’elles feront ensuite.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 30 septembre 2021. Un grand merci à Erik Andersson.

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