Entretien avec Cheng Yu

Remarqué dans la brillante sélection courts métrages de la Berlinale, Daughter and Son du Chinois Cheng Yu est un film mystérieux qui raconte les différents riens de personnages dont les liens demeurent flous. Ce court visuellement superbe est porté par un étrange charme nocturne. Son réalisateur est notre invité de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Daughter and Son ?

Mon intention était de tourner un film avec une dimension mystérieuse, en tirant mon inspirations d’histoires que j’ai entendues ou de rêves racontés par d’autres personnes. Ainsi, je voulais donner aux protagonistes une perspective qui, d’une certaine manière, n’était pas la mienne. À l’origine, l’histoire se déroulait en été et la relation entre une jeune fille et sa mère était l’intrigue principale. Pendant le casting, nous avons débattu de l’étape du voyage de la jeune fille sur laquelle nous voulions nous concentrer, et ce n’est que lorsque nous avons choisi Sachiko que nous avons pu finaliser l’histoire.

Ensuite, la question de la « distance » s’est posée, car je suis proche de l’âge de Sachiko. Est-ce que je voulais vraiment dépeindre de manière authentique la vie de jeunes comme nous ? Cela pouvait tout à fait fonctionner, mais j’espérais que cette histoire puisse être subtilement détachée de la réalité. C’est pourquoi nous avons cherché cette distance tout au long du processus de préparation et de tournage. La veille du tournage, nous avons décidé que ce qui guiderait cette relation, ce serait la performance. Tout au long de la production, nous avons continuellement ajusté chaque scène en fonction de ce que nous ressentions dans le moment. Au final, nous avons un film plein d’improvisations.



Comment avez-vous abordé l’écriture d’une histoire dont la principale qualité vient de son aspect à la fois énigmatique et minimaliste ?

Cette histoire n’est pas tant écrite par moi qu’elle a été générée organiquement lors du tournage, ainsi que par le quotidien. Nous avons consacré beaucoup de temps à la préparation, ce qui impliquait d’observer de près nos actrices et acteurs. Bien que Ming et moi nous connaissions pour avoir vécu ensemble, ma connaissance de Sachiko était limitée et presque imaginaire. Dans le mois précédant le tournage, j’allais à la librairie où elle travaillait chaque fois que j’en avais l’occasion et je lui demandais de nous faire visiter ses endroits préférés pour marcher ensemble. De nombreuses scènes, actions et répliques du film dérivent de ce processus. Comme un puzzle, j’ai eu beaucoup de pièces qui n’avaient pas de sens au début, mais finalement elles se sont réunies pour créer Daughter and Son.

En fait, nous avons écrit beaucoup plus de choses qui n’ont pas été incluses dans le film fini, et même si ce qui a été écrit n’était peut-être pas aussi concis ou aussi subtil que l’histoire gardée dans le film, cette écriture supplémentaire a vraiment aidé les acteurs à se connecter aux personnages. Par exemple, l’histoire que nous avions initialement prévu de raconter à propos d’une mère et de sa fille n’a jamais été filmée. Néanmoins, elle a continué à nous hanter comme un fantôme, comme la mère qui n’apparaît jamais à l’écran.



Pouvez-vous nous en dire plus sur vos choix visuels pour raconter l’histoire de Daughter and Son ?

La question de savoir pourquoi le film est visuellement si sombre revient à presque toutes les projections, même à la Berlinale. J’ai plaisanté en disant qu’ils nous ont choisis pour cette raison, parce que la nuit à Berlin est presque aussi sombre que notre film.

En fait, cela ne faisait pas partie de notre plan initial. Le premier jour de tournage, l’éclairage était assez lumineux, et cela ne ressemblait en rien à ce que nous visions. Il semblait que l’approche conventionnelle ne fonctionnait pas pour une telle histoire. Nous avons commencé à expérimenter en éteignant les lumières et en couvrant certaines sources lumineuses pour créer un sentiment d’obscurité enveloppant les deux personnages et obscurcissant la plupart des détails. Nous n’avons utilisé que des petites sources de lumière pour éclairer une zone spécifique. Cela a créé un ton qui est finalement devenu le look final du film. Personnellement, je suis assez attiré par les scènes plus sombres, comme le traitement de Hou Hsiao-hsien sur Le Maître de marionnettes.

La plupart de nos choix concernant le positionnement de la caméra et le cadrage ont été décidés sur le moment. Alors que nous avions des images en tête, nous avons souvent dû abandonner l’idée originale pour chercher autre chose. Par exemple, dans la scène de la lune traversant les balustrades, qu’on devait filmer à l’aube, la lune a disparu pendant que nous filmions. J’ai pensé que nous pourrions peut-être enregistrer le mouvement de la lune avec le long objectif que nous avions. C’est quelque chose qui est difficile à imaginer en pré-production et dans l’ensemble, nous embrassons vraiment ce genre d’exploration spontanée sur le plateau.

Dans mon dernier film, Pomegranate, j’étais tellement obsédé par le mouvement de la caméra que j’ai négligé ce que pouvaient offrir le mouvement et la tension à l’intérieur du cadre. Par conséquent, je voulais que la caméra soit plus stable et plus discrète cette fois, une grande partie de la mise en scène était statique ou alors à base de mouvements lents. Heureusement, cette approche correspondait au ton général du film.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je dirais Hou Hsiao-hsien, j’aime presque tous ses films. Nous avons puisé beaucoup de références et d’inspirations dans son Café Lumière. Quand jai commencé à voir ses films, j’ai eu tendance à être somnolent car j’avais toujours l’impression que rien ne se passait vraiment. Depuis que j’ai regardé Un temps pour vivre, un temps pour mourir, je ne me suis plus jamais ennuyé devant ses longs métrages, j’ai été à chaque fois absorbé et même excité. C’est intrigant de voir comment les films ont affecté mes réactions physiques.

Quelles est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Probablement lorsque j’ai découvert les mangas de Yoshiharu Tsuge, plus particulièrement Bird of Letters et Seaside Scene. Ils ont un style visuel à la fois unique et traditionnel qui font naître des sentiments inédits, une excitation et même l’envie irréaliste de se mettre à faire créer des mangas.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 23 mars 2023. Un grand merci à Liuying Cao.

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