TIFF 2023 | Entretien avec Carolina Markowicz

C’est l’une des révélations de ces derniers mois : avec son premier long métrage Charcoal (présenté à Toronto, San Sebastian et cette semaine au Transilvania Film Festival), la Brésilienne Carolina Markowicz signe une comédie dramatique féroce dans laquelle une famille rurale se retrouver à héberger un baron de la drogue très recherché. Le ton de ce film est fou, mordant, inattendu et sa réalisatrice est un talent à suivre. Carvão figure dans notre dossier des meilleurs inédits de 2022. Carolina Markowicz est notre invitée.


Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter l’histoire de Charcoal ?

J’ai grandi à la campagne près de São Paulo, quasiment dans le village que l’on voit dans le film, Joanópolis. Au Brésil, mais plus particulièrement dans les campagnes, la notion que l’on doit obéir à certains rôles sociaux selon son genre est encore très présente. Les femmes doivent bien sûr rester au service des hommes, quant à ces derniers : messieurs, vous pouvez être des assassins mais pitié, ne soyez pas gay. Voilà l’idée. Ce qui a fait naître en moi l’envie de faire ce film c’est ce conservatisme complètement absurde. J’emploie ce mot-là mais aujourd’hui, au Brésil, l’absurde n’a plus rien d’absurde. C’est devenu la norme. Regardez comment notre président parle des femmes, par exemple. Cette folie-là était déjà présente dans l’air quand j’étais petite, et aujourd’hui elle prend toute la place, c’est comme un cycle.



Comment avez-vous maintenu votre équilibre idéal entre humour et violence, entre nous faire rire des horreurs qui arrivent à vos personnages sans se moquer d’eux pour autant ?

Ce mélange d’humour et de violence, c’est tout moi ! C’est exactement comme ça que je suis, c’est comme ça que je vois le monde, c’est ce qui me fait rire au quotidien et c’est le ton que j’utilise naturellement au moment de raconter des histoires. Même dans mes plus grandes tragédies personnelles, j’aime me moquer de moi-même. C’est mon motus operandi et celui de toute ma famille, j’ai grandi avec le sarcasme. Bien sûr le film parle d’un sujet sérieux mais les nuances dont vous parlez, c’est la vie. Nous sommes des êtres vivants, nous pouvons ressentir toutes les émotions à la fois. Je savais qu’en faisant ainsi nous courions un risque, mais je ne voulais pas que l’on s’imagine que le film n’est qu’une farce.



L’un des ressorts comiques du film est que les comédiens ne jouent justement jamais comme s’il s’agissait d’une comédie. Comment avez-vous travaillé cette dimension avec eux ?

Oui, cela a représenté une partie importante de mon travail avec les comédiens. Notre devise était « aucun clin d’œil envers les spectateurs », même quand on trouvait les situations drôles. Parfois, à la fin des prises, nous étions pliés en deux, mais la règle c’était de ne jamais rire devant la caméra. Nous avons essayé de trouver notre propre ton, nous nous sommes dit « on verra bien, mais ce n’est pas en riant qu’on fera rire ».



Comment avez-vous sélectionné vos acteurs idéaux pour une telle tâche ?

Je voulais travailler avec Maeve Jinkings depuis longtemps. Nous avions un projet de film en commun depuis longtemps, mais ce projet a évolué au fil des années et Charcoal n’a finalement plus grand chose à voir. J’avais déjà dirigé César Bordón dans un de mes courts métrages. Quant au jeune garçon, il se trouve que c’est vraiment le fils du couple qui tient la mine de charbon de Joanópolis. Mon directeur de casting, avec qui je travaille depuis longtemps, m’a montré une photo de lui et je me suis dit que c’était le meilleur choix possible, d’ailleurs il a tout de suite compris ce qu’on essayait de dire avec ce scénario. Quant au rôle de la coiffeuse, il est joué par ma vraie coiffeuse de quand j’avais quinze ans. J’ai toujours été obsédée par elle, sa force et son courage. J’ai écrit le rôle en pensant à elle.



Charcoal se déroule majoritairement en intérieurs mais possède plusieurs scènes extérieures nocturnes aux éclairages puissants. Comment avez-vous travaillé avec votre chef-opérateur sur ses différences ?

Je voulais que les scènes d’extérieur soit très atmosphériques. Joanópolis est une toute petite ville très bucolique et je tenais à ce qu’on retrouve à l’image ce sentiment de calme et de liberté. Je voulais qu’on évite les couleurs trop vibrantes, qu’elles conservent quelque chose de froid. En ce qui concerne les scènes d’intérieur, je voulais que l’image soit plus anguleuse, surtout au moment de filmer le personnage argentin, il fallait que ce soit vraiment claustrophobe. Créer une différence de traitement permettait de maintenir une ambiance un peu bordélique. C’est curieux, certaines scènes étaient très planifiées à l’avance, nous avions prévu tous les cadrages et travaillé le découpage en détails. En revanche, pour les scènes les plus énergiques, on était beaucoup plus en roue libre, du moins pour les premières prises.



Qui sont les cinéastes qui vous inspirent ?

Je dirais qu’Agnès Varda, Pedro Almodóvar et Stanley Kubrick sont mes trois principales références. Parmi les noms plus contemporains, j’aime énormément Sean Baker, je suis très fan. Mais en ce qui concerne ce film en particulier, je dirais que mes principales sources d’inspiration étaient Paper Moon de Peter Bogdanovich et Affreux sales et méchants d’Ettore Scola.



Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 6 septembre 2022. Un grand merci à Emma Griffiths.

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