Entretien avec Anu-Laura Tuttelberg

Winter in the Rainforest est un très beau court métrage réalisé par l’Estonienne Anu-Laura Tuttelberg. Ce film en stop-motion raconte l’histoire de curieuses créatures de porcelaine qui vivent dans la forêt amazonienne. Le film met en scène un contraste étonnant et poétique entre la nature luxuriante et ses fragiles marionnettes.Winter in the Rainforest est visible librement sur la chaine YouTube de Miyu, découvrez ce film en bas de notre article. Anu-Laura Tuttelberg est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Winter in the Rainforest ?

J’ai toujours rêvé d’aller dans la forêt amazonienne et finalement en 2014 j’ai eu la chance de m’y rendre en allant au Brésil. La nature sous les tropiques est si incroyable et différente de la nature nordique en Estonie qu’elle m’a plongée dans un état d’étonnement et m’a donné envie d’en savoir plus. J’ai pensé qu’un jour je ferais un film dans la forêt tropicale.

Un an plus tard, il se trouve que j’ai visité un lieu magique et surréaliste au Mexique, le jardin de sculptures faites par le poète britannique et surréaliste Edward James et qui se nomme Las Pozas (les piscines). Il est situé dans les montagnes de la Sierra Gorda dans le petit village de Xilitla, au milieu d’une forêt tropicale humide. Les immenses sculptures – des constructions architecturales et absurdes au milieu de la nature luxuriante qui dévore cette ville de pierre surréaliste – m’ont fait imaginer mes propres histoires et créatures qui pourraient vivre dans la nature. Après ce voyage, j’ai commencé à concevoir des personnages de porcelaine que je pouvais placer dans la nature tropicale et les animer là comme si c’était leur habitat naturel.

Le contraste entre la forêt tropicale et les délicates marionnettes est frappant. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le style d’animation que vous avez choisi pour ce film ?

Ce contraste est exactement ce que je voulais créer et explorer dans ce film. Les animaux, même s’ils sont artificiels et constitués de porcelaine, semblent se sentir à l’aise dans cet environnement naturel. Animés en stop-motion, ils se déplacent avec douceur. Ils vivent leur vie et s’occupent de leurs affaires tandis que la lumière scintillante évolue et que le temps passe. Il y a deux temps qui cohabitent dans ce film – celui dans lequel vivent les créatures et celui nécessaire pour animer les marionnettes. Ces deux temps sont visibles par le spectateur qui a conscience de cette animation en stop-motion.

En général, les films en stop-motion récents essayent de dissimuler cet artifice, mais avec Winter in the Rainforest, on a voulu faire l’inverse. Habituellement, les films en stop-motion essaient de rendre l’animation la plus fluide et lisse possible en faisant en sorte que l’écart de temps entre deux images soit invisible – comme si les personnages se déplaçaient d’eux-mêmes. Toutes les « erreurs » dans l’évolution de la lumière et l’environnement autour des marionnettes sont cachées méticuleusement pour rendre la tromperie aussi parfaite que possible. J’aime faire ressortir cette supercherie, montrer la technique et l’effet étrange qu’elle crée. Cela fait du temps un personnage important du film.

J’ai une autre raison pour laquelle je voulais travailler dans ce décor. J’aime être dans la nature. J’aime aussi beaucoup faire des films en stop-motion, mais leur seul défaut pour moi, c’est que normalement ils sont fabriqués dans un studio sombre. Faire un court métrage d’animation prend environ 1 à 3 ans. Passer tout ce temps dans une chambre noire sans lumière du soleil est un trop grand sacrifice à mon avis ! Je voulais travailler avec la forme d’art que j’aime, mais aussi le faire dans la nature où j’aime être.

Dans quelle mesure diriez-vous que le décor, la nature, joue un rôle crucial dans Winter in the Rainforest ?

Le film est sur la nature, je dirais même que c’est un documentaire sur la nature avec des animaux de porcelaine. Winter In The Rainforest fait partie d’un projet plus vaste sur lequel je travaille. Il s’agit de la première création appartenant à une compilation de trois films, chacun tourné dans un environnement naturel distinct et représentant différentes saisons. Tous ensemble, ces films formeront un cycle d’un an. Le premier film, tourné sous les tropiques, représentait l’été. Le deuxième sera l’automne et l’hiver dans un film tourné sur une plage enneigée, en Estonie et en Norvège. Et le dernier film sera le printemps tourné dans un marais en Estonie. Alors oui, la nature joue un rôle très important – c’est le sujet principal du film.

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

J’aime beaucoup de réalisateurs qui font du stop-motion tels que Jan Svankmajer, Karel Zeman, Piotr Kamler ou pour l’Estonie Mati Kütt.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

J’ai souvent ce sentiment. Mais je n’ai que trop rarement le temps de d’aller à la découverte de nouvelles choses. J’espère maintenant qu’au Festival de Clermont-Ferrand j’aurai l’occasion de faire des découvertes intéressantes !

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 2 février 2020. Un grand merci à Luce Grosjean.

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