Festival Un état du monde | Entretien avec Aliaksei Paluyan

Dévoilé à la Berlinale et sélectionné cette semaine au Festival Un état du monde, Courage de Aliaksei Paluyan relate les manifestations pacifiques de milliers de personnes suite aux élections présidentielles frauduleuses de 2020 en Biélorussie. C’est un témoignage puissant qui fait vivre cette révolution de l’intérieur et raconte le courage collectif dont les militant.e.s font preuve. Aliaksei Paluyan est notre invité.


Quel fut le point de départ de Courage ?

L’un de mes objectifs de départ, et en même temps la question qui me brûlait le plus, était de comprendre le rôle des artistes indépendants dans des pays autocratiques comme la Biélorussie. Quel prix les artistes indépendants devraient-ils payer pour être libres, si tant est qu’une forme de liberté est possible, s’il ne s’agit pas que d’une utopie ?



Depuis que vous avez fait ce film et qu’il a été montré à l’échelle internationale, comment la situation a-t-elle évolué pour vos protagonistes et pour vous ?

Je veux être honnête avec vous, la crise politique au Bélarus s’aggrave de jour en jour. La situation est dans une impasse. C’est pour cela que je choisis de clore mon film sur une scène de confrontation entre des centaines de milliers de manifestants pacifiques et, face à eux, quelques centaines de responsables de la sécurité. C’est une situation d’impasse comme aux échecs. En fait, il y a davantage d’oppression maintenant. Par exemple, un jeune homme a dessiné/écrit la phrase « Nous ne pardonnerons pas » sur l’asphalte, à l’endroit où le premier manifestant pacifique Alexandre Taraïkovski a été tué. Pour cette inscription, il a été condamné à deux ans de prison ! Les gens sont condamnés à des peines de prison pour rien. C’est une situation impossible. Je voudrais que la situation politique soit plus claire, plus évidente. Je voulais aussi donner au public le sentiment qu’il se trouve dans un moment historique. C’était mon objectif principal, amener le public à Minsk en 2020, à l’intérieur des événements. Les médias du monde entier ne couvrent plus l’élection ou les manifestations autant qu’en août 2020, mais rien n’a changé en Biélorussie jusqu’à présent.



Je prends beaucoup de responsabilités au nom de mes protagonistes. C’est aussi un dilemme pour moi. Le film est destiné à apporter de la clarté sur cette question, mais plus le film reçoit d’attention, plus cela pourrait générer de problèmes potentiels pour les protagonistes. Nous sommes actuellement en contact étroit les uns avec les autres, et nous essayons de trouver une solution pour eux. Tous sont susceptibles d’être contraints à l’exil, mais au moins cela pourrait fonctionner comme un plan B. S’ils venaient à encourir le risque d’être soudain emprisonnés, ils auraient alors la possibilité de fuir. Pavel et Denis ont d’ailleurs été arrêtés récemment, lors d’une représentation de leur groupe de musique RSP en février, et ils n’ont été libérés que 15 jours plus tard.



Qu’est-ce qui vous a poussé à inclure dans votre film des images de manifestations plus anciennes, remontant aux années 90 ?

C’était ma décision consciente, il était très important pour moi de montrer que la résistance du peuple s’opère depuis très longtemps, depuis plus de 26 ans. En conséquence, la déclaration de Denis (« Rien n’a changé depuis 1996 ») prend un poids très important non seulement pour le public biélorusse, mais aussi pour le public du monde entier. Le vide d’information que le régime de Loukachenko a construit pendant des décennies a fonctionné très harmonieusement, très peu d’informations ont atteint les médias internationaux. Pourquoi les manifestations en Biélorussie ont-elles franchi le blocus de l’information cette année ? C’est finalement évident, car tous les secteurs de la société sont descendus dans la rue pour protester contre l’impunité concernant les meurtres de manifestants pacifiques. Une telle vérité ne peut pas être cachée.



Quel.le.s sont vos cinéastes de prédilection ou celles et ceux qui vous inspirent ?

Ce n’est pas une question facile, mais je peux néanmoins vous parler d’un certain nombre de grands auteurs qui ont influencé mon travail. Parmi eux; Krzysztof Kieslowski, Andreï Tarkovski et Andrzej Wajda. Ces grands metteurs en scène m’inspirent et occupent une place importante à mes yeux. Je suis sans cesse à la recherche de d’inspiration dans les films de ces maîtres, et c’est grâce à cela ce que je construis tranquillement mon propre style.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Le sentiment auquel vous faites allusion, je l’ai vécu en voyant les longs métrages Ida et Cold War de Pawel Pawlikowski. D’un coté il s’agit d’un style de narration cinématographique classique, directement inspiré de la période des années 70 et 80 du cinéma polonais. De l’autre, ces films témoignent d’une compréhension des problèmes de la société européenne d’aujourd’hui. C’est ça qui est génial. Avant cela, j’avais eu un sentiment similaire il y a 10 ans quand j’ai fait connaissance avec les films de la vague roumaine.



Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 23 mars 2021. Un grand merci à Silke Lehmann. Source images

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