Sheffield Doc/Fest | Critique : Visión Nocturna

Dans ce film, Moscoso revient sur le viol dont elle a été victime huit ans auparavant, pendant ses études de cinéma.

Visión Nocturna
Chili, 2020
De Carolina Moscoso

Durée : 1h20

Sortie : –

Note :

CLAIR OBSCUR

La vision nocturne qui donne son titre à ce film, c’est cette technique qui permet avec une caméra adéquate de filmer en pleine obscurité, de révéler quelque chose tapi dans l’ombre et qu’on devinait alors à peine. La réalisatrice Carolina Moscoso s’en sert le temps d’une scène, s’attardant sur un feu de camp improvisé par ses amis en pleine nuit. L’image est alors brutalement coupée : la réalisatrice est revenue au même endroit le lendemain et filme alors ce paysage de jour, tout en maintenant cette technique de vision nocturne. Le résultat est saisissant : la chaleureuse intimité nocturne laisse soudain place à un éblouissant monochrome blanc, presque abstrait, où l’on distingue finalement encore moins les silhouettes qu’en pleine nuit. Ce qui est émouvant est devenu indéchiffrable, perdu. Le feu a laissé place à un incendie.

Dans Visión nocturna, Carolina Moscoso raconte le viol dont elle a été victime il y a une dizaine d’années. Elle nous prévient dès les premiers minutes, ce récit va être traversé de plusieurs types de lumières : celle qui traduit la pénombre qui entoure encore aujourd’hui les faits et les sentiments, et celle qui aveugle à force de trop vouloir montrer. Le film raconte, documente parfois au sens le plus strict (détaillant le parcours judiciaire de la victime, allant jusqu’à citer les rapports de police de l’époque tels quels à l’écran), il parle d’un cheminement intime mais il met surtout en valeur autre chose. Un sentiment intangible et passionnant. Une intimité quasi secrète.

Visión nocturna utilise deux sources de récit. Il y a d’abord un récit factuel et muet : sans voix off ni commentaires, les événements viennent s’inscrire en texte sur des images qui parfois illustrent (un retour sur les lieux) et parfois semblent n’avoir aucun rapport. C’est là que se trouve le deuxième récit : une accumulation de rushes intimes glanés au fil des années. Des images à la fois brutes et sensorielles de Carolina avec ses amis, son chat, en vacances, de la vie qui continue pendant une décennie entière. Les seuls sons et voix du film sont ceux issus de ces images-là : un air de guitare mélancolique, des discussions intimes de fin de soirée, des souvenirs qui tanguent. Ce que cette juxtaposition traduit de bouleversant, c’est l’ombre que ces événements continuent de projeter sur la vie de la réalisatrice. Une ombre parfois gigantesque, parfois minime, presque oubliée. Visión nocturna donne à partager une intimité rarement vue au cinéma.

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par Gregory Coutaut

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