A voir en ligne | Critique : Un grand voyage vers la nuit

Luo Hongwu revient à Kaili, sa ville natale, après s’être enfui pendant plusieurs années. Il se met à la recherche de la femme qu’il a aimée et jamais effacée de sa mémoire. Elle disait s’appeler Wan Qiwen…

Un grand voyage vers la nuit
Chine, 2018
De Bi Gan

Durée : 2h18

Sortie : 30/01/2019

Note : 

LA NUIT AVEUGLANTE

Le Chinois Bi Gan est l’une des plus rayonnantes révélations de cinéma de ces dernières années. On a découvert ébahi son premier film, Kaili Blues, une prodigieuse rêverie primée à Locarno en 2015. Un grand voyage vers la nuit se montre (si c’était possible) encore plus ambitieux que son précédent long métrage. « J’essaie de faire de la réalité un rêve et de traiter du rêve comme d’une réalité », nous déclarait-il en interview. C’est un principe (vu ses films, une philosophie plus qu’un principe) qui s’applique à ce Grand voyage nimbé de mystère. Mystère du récit, mais aussi de l’image : d’où vient donc ce premier plan ? Un grand voyage vers la nuit est bluffant dès ses premiers instants – et nous n’avons pourtant encore rien vu.

Cette première partie évoque un peu le cinéma de Wong Kar Wai, cette utilisation mystérieuse du glamour, ce romantisme exacerbé, parfois ce travail esthétique. Le jeune cinéaste cite Nos années sauvages parmi les films qui l’ont marqué. Mais Un grand voyage rappelle surtout le périple poétique de Kaili Blues, balade fantomatique à la recherche du passé et de ses fantômes. C’est un film de mémoire, sur le passé remémoré en un sibyllin kaléidoscope dans la première partie, et un passé que l’on expérimente, au sein duquel on déambule dans la deuxième partie. On parle ici de risques d’éboulement et il en va de même pour la mémoire qui pourrait s’évanouir en un souffle. Bi Gan la saisit avec un usage prodigieux, pensé et sensible de la 3D comme d’une traversé et d’un nouveau rapport aux choses.

Au début d’Un grand voyage vers la nuit, l’une des protagonistes se sèche les cheveux et le doux ronron nous invite à fermer les yeux. On peut les rouvrir, les refermer, se perdre dans le labyrinthe des songes de Bi Gan et l’apprécier comme un sublime poème d’entre deux mondes. Mais il y a aussi quelque chose de fascinant dans cet incroyable plan séquence s’adressant aux sens tout en étant théorique. Dans sa réflexion sur le temps (et qui sait comment celui-ci peut nous changer), sur le réel et le rêve (il est ici question d’une conteuse et il est impossible de démêler le vrai du faux dans ses récits), et sur le cinéma.

Ce personnage qui, dans Un grand voyage vers la nuit, entre dans une salle de cinéma, chausse ses lunettes 3D, s’immerge dans un film comme dans une eau noire ; tout ce qu’il voit est très fabriqué (nous sommes littéralement au cinéma, devant de la 3D) et parfaitement vrai (dans les rimes et les échos au réel, par les sentiments éveillés). « La nuit brouille les âges » entend-on, Bi Gan brouille poétiquement les repères dans cette déambulation d’une étourdissante beauté : on peut sans exagérer dire qu’on n’avait jamais vu ça au cinéma.


>>> Un grand voyage vers la nuit est visible en vod sur UniversCiné

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par Nicolas Bardot

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