Entretien avec Amanda Nell Eu

D’origine malaisienne, Amanda Nell Eu raconte dans son court métrage Vinegar Baths l’histoire d’une infirmière qui, lorsque la nuit tombe dans sa maternité, montre un visage bien différent. Entre farce et horreur, ce film séduisant et ludique révèle un talent à suivre. Amanda Nell Eu est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Vinegar Baths ?

Je suis généralement intriguée par les monstres qui peuplent les mythes et les contes de fées, et pour Vinegar Baths en particulier, j’ai été inspirée par cet esprit local appelé le Penanggalan. Beaucoup de contes folkloriques d’Asie du sud-est ont tournent autour de ce personnage, parfois avec un nom différent, mais ils partagent tous des caractéristiques similaires. C’est une femme qui se promène sous une forme « humaine » le jour, mais la nuit sa tête se détache de son corps et s’envole, avec ses entrailles pendantes qui lui sont attachées. Elle recherche les femmes enceintes, les fœtus et les nouveau-nés à consommer. Elle se baigne dans un bain de vinaigre pour rétrécir ses organes afin qu’elle puisse glisser de nouveau dans son corps après son festin.

Elle pourrait, sur le papier, ne ressembler qu’à une dame assez horrible, mais imaginons qu’elle soit là pour aider les autres femmes ? Et si cette horrible dame était en fait un symbole d’espoir, de liberté et de force ? Je pense qu’il y a quelque chose de très symbolique et tragique à être détaché de son propre corps, et à mon sens beaucoup de femmes peuvent comprendre cela. Le Penanggalan est un personnage d’un vieux conte populaire, mais je la vois aussi comme une métaphore de la politique dont souffrent les femmes et leurs corps, même aujourd’hui. Peut-être que cette femme est là pour pratiquer des avortements sur d’autres femmes qui l’ont choisi, et c’est peut-être de ça dont elle se régale.

Dans une interview, vous avez dit que l’idée de Vinegar Baths était davantage de parler de votre amour des monstres que de raconter une histoire effrayante. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

J’ai toujours été fascinée par les récits d’horreur. Pourquoi les racontons-nous ? Pourquoi ça nous fait si peur ? En grandissant, j’ai commencé à me repencher sur ces histoires et j’ai réalisé que certains de ces monstres n’étaient peut-être pas réellement méchants, qu’il s’agissait d’êtres essayant de vivre leur propre vérité – du moins c’est comme ça que j’aime les voir ! Il n’est pas facile de vivre sa propre vérité, et dans de nombreuses régions du monde, cela peut avoir des conséquences. C’est pourquoi Vinegar Baths est aussi une célébration d’un de ces monstres. Vous pouvez la voir comme quelque chose qui n’est pas « humain », qui n’est pas normal, mais vous ne pouvez pas la quitter des yeux ni vous empêcher de tomber amoureux d’elle !

Comment avez-vous abordé le traitement visuel pour cette histoire en particulier ?

Une grande partie du film a été inspirée par notre lieu de tournage. Nous avons filmé Vinegar Baths dans une vieille clinique abandonnée qui n’était pas en très bon état, et nous avons fait de notre mieux pour réparer l’éclairage et tout nettoyer. Même après cela, il y avait encore cette texture persistante qui était très spéciale et nous avons donc décidé de travailler avec elle. On a pris de nombreuses décisions créatives pour correspondre à cette étrange atmosphère de lieu vide et abandonné – qu’il s’agisse de la conception des décors, de la lumière, des couleurs. Le décor nous a vraiment tous inspirés ! J’écoutais aussi beaucoup de Nicki Minaj et Cardi B à l’époque et j’ai peut-être donné cette playlist à mon étalonneur quand il a travaillé sur le film !

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Il y en a trop pour vous répondre. Mes amis cinéastes d’Asie du sud-est m’inspirent, les grands maîtres m’inspirent, les réalisateurs qui parviennent à me faire ressentir des choses m’inspirent.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

Je ne pense pas chercher précisément des nouveaux talents en particulier, mais je regarde beaucoup de films, des courts comme des longs métrages. Nouveaux talents, vieux talents : il y a beaucoup de talents partout et je suis simplement heureuse de voir leurs œuvres.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 janvier 2020.

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