Critique : Nuestro Tiempo

La campagne mexicaine. Une famille élève des taureaux de combat. Esther est en charge de la gestion du ranch, tandis que son mari Juan, poète de renommée mondiale, s’occupe des bêtes. Lorsqu’Esther s’éprend du dresseur de chevaux, Juan se révèle alors incapable de rester fidèle à ses convictions.

Nuestro Tiempo
Mexique, 2018
De Carlos Reygadas

Durée : 2h53

Sortie : 06/02/2019

Note : 

MOI TOUT SIMPLEMENT

Le nouveau long métrage de Carlos Reygadas était entouré de mystère : un film de trois heures, au titre sibyllin (qui se traduit ici par notre moment, plutôt que par le pompeux notre époque), interprété par le réalisateur lui-même et son épouse… le tout de la part d’un auteur qui a déjà prouvé par le passé qu’il n’avait franchement pas peur de la grandiloquence. A quoi fallait-il s’attendre ? Disons le resultat tout net : Nuestro tiempo est sidérant. Agaçant à plus d’un titre, d’un culot certain, mais sidérant.

Ce qu’il y d’ahurissant avant tout, c’est le décalage gargantuesque – en a-t-on déjà vu aussi grand ? – entre l’ambition titanesque de la mise en scène et la trivialité de l’argument de base. Nuestro tiempo raconte l’histoire banale comme le monde du mari, de sa femme et de son amant, mais nichée dans un emballage cosmique, une mise en scène qui laisse pantois. La caméra est comme dans les airs, dans les éléments-mêmes, collée aux roues d’un avion (séquence inoubliable), mais aussi dans le moindre interstice inattendu comme un moteur de voiture. Et même avec des dispositifs plus terre-à-terre, il n’y a pas une scène de Nuestro tiempo où la mise en scène ne soit pas impressionnante.

La nature est immense dans cette campagne mexicaine, ses dimensions semblent légendaires, la moindre flaque de boue où s’ébrouent des enfants ressemble à une gigantesque plage. Le temps se déchaine autour des protagonistes rendus minuscules, perdus. Tout ça pour… une histoire d’adultère. Vraiment ? Il y a un culot pas croyable à donner de telles dimensions à quelque chose d’aussi personnel et trivial. On se demande d’ailleurs comment un tel film serait-il reçu si c’était une réalisatrice qui se payait le luxe de convoquer ainsi Dieu et la Terre entière pour raconter ses histoires de fesses. Nuestro tiempo c’est ça, mais ce n’est pas que ça.

Juan, le personnage principal interprété par Reygadas lui-même, a toutes les apparences d’un homme sage, civilisé et moderne. Il va pourtant se comporter envers son épouse comme le pire des connards égocentriques, manipulateur et de mauvaise foi. Pendant trois heures, le film va nous coller face à son insupportable suffisance de macho, jusqu’à un point presque éprouvant. Quand l’héroïne répond sans rire à son horrible mari quelle a « tellement de chance de pouvoir l’écouter tous les jours », Reygadas nous provoque-t-il ?

C’est dans ce jusqu’au-boutisme que le film est également sidérant. Il y a un masochisme rare dans le fait que Reygadas se donne le rôle du pire salaud. Il y a aussi du sadisme dans sa manière de nous infliger la logorrhée opiniâtre et toxique de son personnage. Et entre les deux, il y a ce ton improbable, entre suspens, malaise et parabole. Faut-il s’étouffer de colère devant tant d’égo, faut-il défaillir d’admiration devant tant de beauté plastique? La démarche est d’autant plus unique que pendant sa majeure partie, le film ne nous prend jamais par la main, ne vient jamais nous rassurer en condamnant son protagoniste.

Jeux d’enfants où les garçons s’amusent à « tuer les filles », combats de taureaux virils pour s’assurer la tête du troupeau, discussions sans fin de propriétaires terriens déguisés en cowboys et se prenant pour des poètes… Nuestro tiempo est un film sur l’égo masculin, lui-même mis en scène avec un certain égo. La grâce et la mégalomanie dans un même film, mais au final, une démarche artistique unique. On en ressort secoué comme rarement.

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par Gregory Coutaut

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