Festival Un état du monde | Critique : Motherland

Svetlana a perdu son fils, celui-ci a été retrouvé mort alors qu’il était dans l’armée. Pendant qu’elle tente de faire la lumière sur la culture de la violence et les abus dans l’armée biélorusse, un groupe de jeunes amis risquent eux-mêmes d’être bientôt enrôlés. Ensemble, ils vont à des rave parties mais en un instant, la fête pourrait bel et bien s’achever…

Motherland
Suède/Ukraine/Norvège, 2023
De Alexander Mihalkovich & Hanna Badziaka

Durée : 1h32

Sortie : –

Note :

AU CRÉPUSCULE

Un train roule dans les premières images de Motherland ; on ne sait pas ce qui pourrait faire dévier l’imposante machine de son chemin et de sa destination. Dans leur documentaire, Alexander Mihalkovich et Hanna Badziaka dépeignent un autre rouleau compresseur : celui du pouvoir autocratique au Belarus. Tandis que Lukashenko entame son sixième mandat à la tête du pays, Mihalkovich et Badziaka font le choix de ne pas montrer (ou presque) de figures de pouvoir à l’écran. Le film s’attache avant tout aux diverses victimes de la violence institutionnalisée : les mères qui perdent leurs fils, les soldats formés à tuer et les jeunes gens qui ne sont guère plus que de la chair à canon.

Comment, dès lors, différencier entre eux les jeunes soldats qui, comme on le commente dans le film, « se ressemblent tous » ? Motherland raconte un lavage de cerveau constant où aucune place n’est laissée aux individus et à leur libre arbitre. Les messages de propagande flottent haut dans le ciel. Le bourrage de crâne officiel sur les héros romantisés contraste avec l’absence totale de considération pour les morts : une mère cherche, totalement désemparée, à en savoir plus sur les circonstances nébuleuses de la disparition de son fils.

La caméra délicate des cinéastes est attachée aux détails, à la triste atmosphère, aux respirations. Autour, les mots, les actes n’ont aucun sens. Les tombes de gamins sont spectaculairement fleuries. Le deuil est maquillé en pompière célébration. Et cette violence ne s’exerce pas qu’à la guerre : peu à peu, Alexander Mihalkovich et Hanna Badziaka se recentrent sur la ville, la rue d’à côté, des flics pourris qui tabassent un homme au sol, la répression violente des manifestations (dont on avait déjà eu un aperçu dans Courage de Aliaksei Paluyan) et les hurlements glaçants qui viennent de la prison. Ce n’est pas une violence lointaine et abstraite, c’est une violence officielle et quotidienne.

Les jeunes témoignent et vivent dans une angoisse permanente. Durant la quête de la mère endeuillée, les lettres d’un soldat sont lues. Son passé à lui est le futur déjà écrit des jeunes qu’on voit à l’écran, et malgré les mouvements de protestation, l’espoir peine à se dessiner dans la mère patrie. Alexander Mihalkovich et Hanna Badziaka filment un crépuscule, un soleil prêt à disparaître tandis que le fascisme rayonne.

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par Nicolas Bardot

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