Critique : Mon pays imaginaire

« Octobre 2019, une révolution inattendue, une explosion sociale. Un million et demi de personnes ont manifesté dans les rues de Santiago pour plus de démocratie, une vie plus digne, une meilleure éducation, un meilleur système de santé et une nouvelle Constitution. Le Chili avait retrouvé sa mémoire. L’événement que j’attendais depuis mes luttes étudiantes de 1973 se concrétisait enfin. »

Mon pays imaginaire
Chili, 2022
De Patricio Guzmán

Durée : 1h23

Sortie : 26/10/2022

Note :

RETOUR AU PAYS

Le nouveau documentaire de Patricio Guzmán s’ouvre sur une métaphore : un parallèle songeur entre les roches éparses au pied de la Cordillère des Andes et les pavés arrachés aux trottoirs pour servir de munitions aux manifestants. Comme si le présent se faisait en quelque sorte l’écho du passé du pays. Cette figure de style rappelle celles utilisées par le cinéaste chilien dans sa passionnante trilogie philosophique (Nostalgie de la lumière, Le Bouton de nacre, La Cordillère des songes). Le titre de ce nouveau film, Mon pays imaginaire, en possède d’ailleurs le même ton merveilleux. Pourtant, la figure de style est rapidement mise de coté et le film déploie un dispositif documentaire plus direct.

Patricio Guzmán s’intéresse ici aux mouvements sociaux ayant embrasé le pays entre 2019 et 2021, tandis qu’un million et demi de Chiliens voyaient leurs gigantesques manifestations spontanées réprimées avec beaucoup de violence par la police et l’armée. Exilé en France depuis la dictature de Pinochet, Guzmán n’était pas présent sur place pour capter les débuts de cet incendie social (il confie d’ailleurs son regret de ne pas avoir pu filmer à temps « les premières flammes »). Peut-être cela explique-t-il que Mon pays imaginaire, composé pour moitié d’images de reportages captées à même les rues embrasées par son chef opérateur Samuel Lahu, paraisse d’abord moins immédiatement personnel que ses autres films plus récents.

Intercalés dans ces images brutes et intenses (sur lesquelles flotte la voix off du cinéaste) se trouvent des entretiens avec différentes personnes liées à ces conflits. La sobriété de cette alternance convenue surprend, déçoit un instant, mais le relief du film se trouve en réalité ailleurs. La voix de Guzmán évoque le passé, dresse un parallèle entre ces manifestations et celles de l’époque d’Allende. Ses intervenants, ou plutôt ses intervenantes, car on s’aperçoit rapidement qu’il ne s’agit que de femmes, sont plongées en plein présent. Dans les deux cas, le Chili qui est analysé et disséqué n’a rien d’imaginaire.

Étudiantes, autrices, politologues, poétesses, urgentistes… les femmes à qui Guzmán donne la parole sont de profils et d’âges différents. C’est comme si, après avoir disséqué la géographie du Chili (son ciel, son rivage, sa chaîne de montagnes) le cinéaste scrutait ici une géographie sociale. Toutes ont en commun l’inébranlable certitude du bien-fondé du combat. Plus que les images captées par les drones, c’est la diversité de la mosaïque qu’elles forment qui donne à saisir progressivement l’ampleur de la révolution en cours. Si Mon pays imaginaire n’atteint pas les sommets poétiques des meilleurs films de Guzmán, il est porté par l’optimisme contagieux et galvanisant de ces femmes-là.

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par Gregory Coutaut

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