Festival CPH:Dox 2019 | Critique : Leaving Neverland

Leaving Neverland raconte le témoignage de deux victimes présumées d’agressions sexuelles sur mineurs de la part du chanteur Michael Jackson. 

Leaving Neverland
États-Unis, 2019
De Dan Reed

Durée : 4h00

Sortie : –

Note :

SACRIFICE

Ceux qui ont suivi la carrière de Michael Jackson des années 70 à sa mort (soit une solide partie de la planète) ne peuvent guère ignorer les scandales sexuels qui ont entaché l’aura de la méga-star. Mais il est difficile néanmoins de ne pas tomber de sa chaise en regardant longuement les témoignages accablants qui constituent Leaving Neverland, le documentaire-fleuve de Dan Reed. Reed sait prendre son temps pour construire très minutieusement son enquête ; il sait surtout prendre son temps pour écouter ceux qui n’ont jamais vraiment été écoutés. Des gamins aujourd’hui adultes, dont les noms pouvaient animer les tabloïds pendant que Michael Jackson disposait de tribunes télévisées pour se défendre ou de clips pour accuser la presse de malveillance.

Le film débute pourtant comme un rêve absolu de garçonnet dans les années 80 : approcher l’irréelle idole à son sommet, pousser les portes de Neverland, devenir BFF au point d’être emmené sur le tournage d’Indiana Jones… Il y a – mais c’est évidemment plus aisé à observer avec trente ans de recul – déjà un malaise lorsque des mini-garçonnets et leur potentiel (apprenti acteur ou danseur) sont jugés comme de « l’argent en banque ». Très vite, les rayures sur les vieilles VHS abimées que l’on regarde dans le film ressemblent à des avertissements fissurant les beaux souvenirs. Leaving Neverland, quand on en arrive aux accusations, n’élude aucun détail sordide – l’heure, dans ces circonstances, n’est pas à une confortable pudeur.

La réussite de Dan Reed est de ne pas limiter son film à une dimension sensationnelle. Le long métrage observe des mécanismes complexes qui amènent à l’impensable – même quand les circonstances paraissent terriblement douteuses. « On ne l’a rencontré qu’il y a 4 heures, mais on le connaît depuis des années ! » entend-on, avec un irréfutable bon sens. Le film parle d’un rapport de classe, ici une classe moyenne de « nobodies » naturellement soumise à un dieu milliardaire – pas tant par intérêt que par construction sociale. Jackson fait l’effet d’un gourou qui hypnotise (et manipulerait) non seulement les enfants mais aussi leur entourage.

Leaving Neverland, en écoutant les victimes présumées, explore un rapport complexe, tordu et ambigu. Vis-à-vis de Michael Jackson, avec des enfants qui ne souhaitent rien de plus que sauver celui qui les aurait agressés. La seconde partie du long métrage se recentre d’ailleurs davantage sur la réaction – ou plutôt l’impossible réaction. Car on parle de jeunes enfants qui ne situent pas encore nettement la frontière entre ce qui est normal et ce qui l’est moins, on parle d’une innocence brisée d’une manière si brutale qu’elle ne peut que pétrifier les victimes. « Pourquoi tu ne m’as pas dit », demande une des mères à son fils. C’est une question « compliquée », et le film ne va pas dans le sens des analystes du PMU d’en bas qui savent d’avance comment réagir dans de telles circonstances.

Car le long métrage observe finement, au-delà des accusations terribles, comment la société traite les victimes d’agression sexuelle – même les plus vulnérables. Ou plutôt, comment la société est incapable de les entendre. Dans quelle mesure celles-ci sont (doublement) condamnées à la solitude, comment les mères innocentes culpabilisent d’un crime qui aurait été commis par un autre. Leaving Neverland raconte la plus vertigineuse et spectaculaire déchéance, en dans son ombre un saccage intime ; un récit qui ressemble à un roman de Joyce Carol Oates mais qui s’est (pratiquement) déroulé devant nos yeux. Et si ce documentaire glaçant accuse, il pose aussi beaucoup de questions pertinentes qui dépassent le cadre du scandale people.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article