Critique : Emmanuelle

Emmanuelle est en quête d’un plaisir perdu. Elle s’envole seule à Hong Kong, pour un voyage professionnel. Dans cette ville-monde sensuelle, elle multiplie les expériences et fait la rencontre de Kei, un homme qui ne cesse de lui échapper.

Emmanuelle
France, 2024
De Audrey Diwan

Durée : 1h43

Sortie : 25/09/2024

Note :

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Emmanuelle, le film original de Just Jaeckin avec Sylvia Kristel, occupe une curieuse position dans l’Histoire du cinéma français. Son succès hallucinant (neuf millions de spectateurs rien qu’en France), coïncidant avec la fin d’une époque de censure, en a fait le symbole d’une libération sexuelle post-68. Or, cet épanouissement demeure le produit de son époque : son héroïne reste quelqu’un à qui la sexualité « arrive » plutôt que parce qu’elle l’a décidé. Le sexe y demeure une affaire de mecs qui heureusement tolèrent de bien vouloir jouer les pygmalions et éduquer les naïves, quitte à prendre les choses très en main en dépit de tout consentement. Supposément libérateur, Emmanuelle n’a jamais été vanté pour son féminisme (pas plus que pour ses éventuelles qualités cinématographiques) et c’est bien normal.

L’Emmanuelle de 2024 n’est pas un remake de ce film-là. C’est le matériau d’origine, à savoir le personnage éponyme imaginé en 1959 par la romancière d’origine thaïlandaise Emmanuelle Arsan, qui a servi d’inspiration à Audrey Diwan, spécialiste en adaptations littéraires (Annie Ernaux, Eric Reinhardt). A quelques détails près, inutile donc de chercher les points communs entre les deux longs métrages, et tant mieux. Première différence de taille, l’action n’a plus lieu à Bangkok mais entre les quatre murs d’un hôtel international situé à Hong Kong ; lieu qui pourrait se trouver n’importe où, ce qui permet à Diwan d’évacuer le moindre résidu d’imaginaire érotique colonialiste : pas de fauteuil en osier ou d’ombres aguichantes derrière des moustiquaires à signaler ici. Mais la réinvention la plus radicalement moderne est celle de la protagoniste.

Chargée d’inspecter le niveau de confort du palace qui l’accueille, Emmanuelle est dans une position ambivalente : elle attend de voir ses moindres demandes comblées, tout en restant dans un esprit de contrôle si sérieux qu’elle ne peut réellement se laisser aller à en profiter. La formule s’applique à sa vie sexuelle, qui ne manque pas d’événements : elle a beau être ouverte à la surprise et à l’improvisation face à cette clientèle cosmopolite, elle demeure décisionnaire de tout. C’est un personnage désirant autant que désiré. L’arrivée inopinée à mi-film d’une tempête tropicale fort symbolique laisse entendre que cette Française chic que l’on compare à un requin ne va pas aisément pouvoir rester maitresse de son petit monde et de ses désirs. Ce déluge (qui évoque l’orage de Stars at Noon de Claire Denis) est à la fois le point d’orgue de la mise en scène plutôt sensorielle de Diwan, et un tournant scénaristique risqué. Les rapports de force entre les personnages en sortent redistribués, et le film en est comme déséquilibré.

Audrey Diwan n’a certainement pas pour but de nous offrir de quoi nous rincer l’œil. Ceux qu’émoustille la présence d’un carré rose resteront probablement sur leur faim. L’érotisme du film se situe moins dans la possession des corps que dans la puissance des regards. C’est le regard d’autrui qui fait naitre le désir mais qui donne surtout le courage de le réaliser et la force d’oser s’y épanouir. Emmanuelle possède dès le départ un atout érotique de taille : la brillante performance de Noémie Merlant. Avec ses traits sévères à l’androgynie élégante, elle dégage un sentiment d’autorité incroyablement sexy, où la sensualité est toujours teintée d’ironie méprisante. Le résultat aurait il autant fonctionné avec une autre actrice ? C’est là un moteur si performant que le film aurait pu s’en contenter, mais quand l’héroïne désormais troublée perd de sa supériorité, c’est nous qui cessons d’être troublé. Comme si le succès du film résidait dans l’idée que nous, spectateurs, ne désirons pas Emmanuelle, nous désirons être elle.

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par Gregory Coutaut

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