Festival de Busan | Critique : Crocodile Tears

Johan et Mama vivent reclus dans un parc de crocodiles sur l’île de Java. Mère et fils vivent en exil volontaire avec pour seul confident un crocodile blanc. Leur vie d’isolement est perturbée lorsque Johan tombe amoureux d’Arumi. Cette arrivée trouble Mama et l’équilibre familial fragile qu’elle tente de préserver. Alors que le tissu de son monde s’effiloche, l’opposition de Mama se manifeste de manière de plus en plus étrange.

Crocodile Tears
Indonésie, 2024
De Tumpal Tampubolon

Durée : 1h38

Sortie : –

Note :

AH ! LES CROCODILES

En pleine nuit, les cris d’une mère retentissent, tandis que la caméra s’attarde sur des multitudes de paires d’yeux qui brillent dans le noir. Détail supplémentaire si la situation n’était pas déjà assez terrifiante : ces yeux appartiennent à d’innombrables crocodiles, entassés… dans une ferme. Car contrairement aux apparences, la scène à laquelle on assiste ne vient pas d’un film d’horreur : travailler dans une ferme de crocodiles est tout simplement le quotidien de Johan et de sa mère (interprétée par Marissa Anita, qu’on a déjà pu voir dans Yuni de l’Indonésienne Kamila Andini). Cette ferme, perdue quelque part à l’ouest de Java, est un lieu de spectacle où le public vient voir des humains risquer leur vie au contact de ces grosses bêtes. Ces dernières, très impressionnantes, semblent presque dociles lorsqu’on leur attrape la queue ou qu’on leur fait un bisou sur le museau.

« Tu joues avec des crocodiles ? », s’étonne la copine de Johan dans Crocodile Tears. Plus tard, des jeunes s’amusent à se faire peur en racontant la légende urbaine selon laquelle la ferme à crocodiles aurait jadis été le théâtre de drames violents et serait hantée depuis. Si le premier long métrage de l’Indonésien Tumpal Tampubolon (lire notre entretien) n’est jamais purement un film fantastique, si l’élevage de crocodiles est une activité de tous les jours pour Johan et sa mère, le film emprunte régulièrement une tension proche du surnaturel. Le drame intimiste peut, de manière rafraichissante, se mélanger au cinéma populaire, rappelant d’autres exemples récents de cinéma d’Asie du sud-est (tel que Tiger Stripes de la Malaisienne Amanda Nell Eu). Il y a bien une légende (qu’on ne révélera pas) au cœur du film, il y a également des touches de thriller psychologique, une hésitation fantastique, et il y a tout simplement ce décor très singulier. Les crocodiles attendent, respirent, semblent pester – ils dorment mais semblent à tout moment prêts à avaler quelqu’un vivant.

Est-ce aussi le cas de la mère possessive et dérangée de Johan ? Tumpal Tampubolon dépeint l’emprise de la jeune mère sur son fils, sa détestation de sa future belle-fille. Cette vilaine plus grande que nature donne du relief à un film qui se distingue lorsqu’il ne se retient pas – à l’image de son crescendo final. La mise en scène est, elle, plutôt humble, parfois un peu effacée, au service du scénario. Le travail du directeur de la photographie Teck Siang Lim (qu’on avait déjà pu apprécier sur Arnold is a Model Student du Thaïlandais Sorayos Prapapan) est néanmoins remarquable ; le film est baigné de couleurs et d’une lumière chaleureuse qui contrastent élégamment avec les motifs sombres du long métrage. Sélectionné à Toronto et à Busan, ce premier essai produit par Anthony Chen est prometteur.

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par Nicolas Bardot

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