Critique : Corsage

Noël 1877, Élisabeth d’Autriche, fête son 40e anniversaire. Première dame d’Autriche, femme de l’Empereur François-Joseph Ier, elle n’a pas le droit de s’exprimer et doit rester à jamais la belle et jeune impératrice. Pour satisfaire ces attentes, elle se plie à un régime rigoureux de jeûne, d’exercices, de coiffure et de mesure quotidienne de sa taille. Etouffée par ces conventions, avide de savoir et de vie, Élisabeth se rebelle de plus en plus contre cette image.

Corsage
Autriche, 2022
De Marie Kreutzer

Durée : 1h53

Sortie : 14/12/2022

Note :

FACE A SON DESTIN

« Elle me fiche la frousse » : c’est ce qu’on entend au tout début de Corsage pour parler de l’Impératrice d’Autriche Élisabeth de Wittelsbach – plus connue sous le nom de Sissi. Effrayante, la poupée Disney immortalisée par Romy Schneider dans l’increvable trilogie des années 50, l’adorable icône pour boites à chocolats ? Le portrait que réalise l’Autrichienne Marie Kreutzer dans son film sélectionné à Un Certain Regard est en effet moins flatteur, en tout cas moins lisse que l’image sucrée et figée de Sissi.

Comment filmer cette héroïne qui a été totalement vampirisée et définie pour toujours par un imaginaire de conte de fées ? Pendant tout le film, Kreutzer s’interroge sur Sissi, sa représentation – voire l’impossibilité de sa représentation. Filmée de profil, on ne sait plus le temps d’un plan si Kreutzer regarde une statue ou un visage humain. L’image de Sissi est un fascinant mystère : celle-ci peut être successivement dessinée, filmée, voilée ; on ne sait plus si on la regarde elle ou les fissures sur son masque.

Dans le précédent film de Kreutzer, le thriller psychologique The Ground Beneath My Feet (en compétition à la Berlinale 2019), le trouble identitaire allait jusqu’à une forme de dissociation. Corsage explore une idée voisine, et en mesurant le gouffre qui sépare la femme de l’impératrice, Kreutzer ouvre des pistes plus universelles. Quel rôle social doit jouer celle qui est tantôt vue comme une fée et qui reste tantôt impassible ? Qui « s’assombrit comme un nuage, qui fane comme une fleur » ? Elisabeth d’Autriche n’est jamais présentée comme un personnage aimable et c’est ce qui participe au relief du récit. Contrairement à la Sissi réconfort de Noël, cette Sissi-là n’est pas là que pour vos beaux yeux.

Pour ce film, Kreutzer retrouve Vicky Krieps, qu’elle avait dirigée en 2016 sur son film We Used to Be Cool. Ce projet est né de l’initiative de Krieps elle-même et son investissement total se sent à l’écran. L’actrice donne à son personnage une étrange tension, un émouvant malaise, une austérité bizarre que Kreutzer aurait peut-être pu exploiter encore davantage – comme dans ce passage en fin de film où un subtil travail sur les échelles donne l’impression fugace que Sissi est à l’étroit dans une maison de poupées. Les corsets que l’impératrice porte lui serrent la taille, elle pourrait bien finir par s’évanouir et disparaître mais elle occupe au contraire tout l’écran jusqu’à un dénouement dont le souffle, jusqu’au bout, reste ambigu.

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et

par Nicolas Bardot

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