Critique : Conann

Parcourant les abîmes, le chien des enfers Rainer raconte les six vies de Conann, perpétuellement mise à mort par son propre avenir, à travers les époques, les mythes et les âges. Depuis son enfance, esclave de Sanja et de sa horde barbare, jusqu’à son accession aux sommets de la cruauté aux portes de notre monde.

Conann
France, 2023
De Bertrand Mandico

Durée : 1h45

Sortie : 29/11/2023

Note :

UTOPIE BARBARE

A l’origine du nouveau film de Bertrand Mandico (lire notre entretien), il y a tout d’abord Conan la barbare, l’adaptation scénique du film de 1982 qu’il avait montée en 2021 au théâtre des Amandiers. Si cette première version était déjà une libre adaptation, que reste-t-il du film avec Arnold Schwarzenegger dans ce Conann 2023? Peut-être pas grand chose car le scénario n’a presque pas de rapport avec le récit d’origine et il ne faut pas s’attendre ici à un remake. Les premières scènes du film font certes davantage qu’un clin d’œil à l’esthétique du film originel, mais ce monde englouti, plein de mysticisme, de folie et d’érotisme , c’est déjà celui de Mandico. Un univers fantastique de femmes puissantes, magiques et monstrueuses qui se pâment et se torturent mutuellement dans un perpétuel paroxysme.

Quelque chose coince dans la première partie de cette appétissante orgie baroque. Tout comme le corps disproportionné de Schwarzenegger dépassait de son costume de peau étriqué, le film est comme engoncé. L’origine de cette démangeaison vient peut-être de la friction entre la générosité gargantuesque de l’imagination de Mandico et l’échelle menue du traitement visuel. Le film ne parait en effet pas souhaiter faire beaucoup d’efforts pour nous faire oublier que tout se déroule en studio. Il y a là un artifice toc plus flagrant que dans les précédentes merveilles du cinéaste, sans qu’on sache très bien à quel point cela est voulu ou bien dû à un budget riquiqui. Sans doute est-ce aussi parce que Mandico, comme il le révèle progressivement, a en réalité cette fois des références esthétiques différentes en tête.

En effet, il n’y a pas que par le scénario que Conann s’éloigne de son point de départ cinématographique. Mandico nous invite à suivre le fil d’une histoire du cinéma alternative, loin de studios américains. C’est en direction d’autres années 80 que la mise en scène nous amène séquence après séquence. Des années 80 plus alternatives, plus sensuelles, plus étranges : celle de La Compagnie des loups ou des photos nocturnes érotiques d’Helmut Newton. Autant dire des années 80 plus féminines aussi, car la féminisation de Conan, super héros à la virilité disproportionnée jusqu’au grotesque, ne s’exprime pas ici que par son changement de sexe.

Christa Theret en guerrière butch, la grande Nathalie Richard en reine parmi les reines, Elina Löwensohn en… chien ? Le nom de Conann a beau être prononcé ici à tout bout de champ avec admiration et désir, c’est moins ce mythe qui nous fascine que l’amour contagieux de Mandico pour ses actrices et ses personnages féminins aux proportions hors-normes, femmes géantes, ogresses et déesses dévoreuses de mondes. Connann est, si ce n’est l’antidote, au moins une réponse à l’incapacité des masculinistes d’Hollywood d’imaginer des super héros au-delà d’une iconographie virile aux normes conservatrices. Le travail presque fétichiste de Mandico pourrait, à l’instar des blockbusters américains, être qualifié d’ »iconisation », mais une iconisation purement féminine et queer. Film de super héros sans hommes, Conann a beau ressembler par moments à un cauchemar anxiogène, c’est aussi une poignante utopie cinématographique.

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par Gregory Coutaut

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