Critique : Caniba

En 1981, Issei Sagawa, alors étudiant à Paris, défraya la chronique après qu’il ait – littéralement – dévoré le corps d’une de ses camarades de la Sorbonne. Affaibli par la maladie, il habite désormais avec son frère, Jun, qui prend soin de lui. Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, cinéastes et anthropologues, sont partis à leur rencontre. Caniba est le fruit de ce face à face remarquable.

Caniba
France, 2018
De Lucien Castaing-Taylor, Véréna Paravel

Durée : 1h30

Sortie : 22/08/2018

Note : 

FILM D’HORREURS

Comment s’approcher du tabou des tabous: le cannibalisme? Caniba commence par des images floues, des très gros plans anamorphosés sur un visage aux contours rendus imprécis, que l’on devine très fatigué, qui nous parle comme depuis les limbes. Une manière pour les cinéastes/anthropologues Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor d’avancer à pattes de velours face à une horreur difficile à appréhender? Oui et non, car la netteté ne viendra en fait jamais. Tout d’abord au sens propre: dans un effet proprement hypnotisant, la caméra flotte sans cesse, presque collée à la peau du cannibale, dans une proximité à la fois fascinante et – paradoxalement – tellement obscure qu’elle en devient anonyme.

La clarté se dérobe également au sens figuré. A quelques centimètres de nous, Issei Sagawa répond à des questions, mais son discours est haché, ses souvenirs affaiblis par la maladie. De ce qui s’est véritablement passé en 1981, nous n’aurons qu’une idée partielle. Mais peu importe, car les enjeux de Caniba sont loin de ceux d’un reportage explicatif. Difficile de faire la part des choses entre les faits réels et leur version fantasmée par notre imagination, et fantasmées par Issei lui-même qui a été jusqu’à dessiner son parcours dans un manga aux images choquantes et grotesques. Le fait qu’un livre aussi impudique ait pu être publié est déjà hallucinant, mais le film n’a pas fini de nous frapper de stupeur.

Quand l’axe de la caméra dodeline par instants, c’est pour révéler un second visage, caché dans l’axe de celui d’Issei. Il s’agit de son frère Jun, dont le discours offre une série de contrepoints pas banals à celui de son frère. Face à la voix spectrale d’Issei, la sienne est presque enjouée. Face au récit factuel et sibyllin de son frère, il ricane et raconte des blagues. Ce va-et-vient entre les deux visages, que le flou rend presque impossibles à distinguer , nous montre que l’horreur, ce n’est pas seulement le crime d’Issei, c’est aussi la banalité avec laquelle Jun en parle.

Caniba se focalise d’ailleurs progressivement sur ce dernier, notamment sur ses penchants masochistes et ses séances d’automutilation à l’imagination spectaculaire (il raconte s’être scotché un feu d’artifice au bras). Et là encore, face à l’ultra-violence, une simple explication goguenarde nous est offerte, le sourire aux lèvres: « Que voulez-vous, j’ai de folles propensions ». Documentaire sur la mémoire, sur l’horreur refoulée, sur la folie domestique, Caniba ne raconte par les horreurs attendues, mais demeure un fascinant film d’horreur.

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par Gregory Coutaut

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