A voir en ligne | Critique : Au bout du monde

Reporter pour une émission populaire au Japon, Yoko tourne en Ouzbékistan sans vraiment mettre le cœur à l’ouvrage. Son rêve est en effet tout autre… En faisant l’expérience d’une culture étrangère, de rencontres en déconvenues, Yoko finira-t-elle par trouver sa voie ?

Au bout du monde
Japon, 2019
De Kiyoshi Kurosawa

Durée : 2h00

Sortie : 23/10/2019

Note :

IN ANOTHER COUNTRY

Dès les premières scènes d’Au bout du monde, il est question d’un mystérieux monstre marin qui serpenterait dans des eaux troubles. Davantage traitée comme un gag que comme une menace ou une merveille, cette piste est rapidement laissée de coté. On peut la voir comme un clin d’œil à Real ainsi qu’aux créatures fantastiques qui peuplent habituellement le cinéma de Kiyoshi Kurosawa (lire notre entretien). Au bout du monde est une parenthèse dans la filmographie du maître, une commande née d’une volonté de coproduction entre le Japon et l’Ouzbékistan. Ce n’est pas la première fois que Kurosawa tourne à l’étranger, mais si son dernier film se démarque, même par rapport à l’élégant et mal-aimé Le Secret de la chambre noire, c’est également par son relatif éloignement des habituels registres fantastiques du cinéaste.

Au bout du monde est en effet une étonnante comédie dramatique, un récit initiatique à la structure narrative elle-même inattendue. Un peu comme un périple de Tintin, le voyage de Yoko à la poursuite d’un sujet de reportage qui fasse battre son cœur est divisé en épisodes, en mini-intrigues se succédant comme dans une bande dessinée. Chaque aventure de Yoko va posséder son propre ton et son propre registre, tous relativement surprenants dans l’univers de Kurosawa. Évitant avec malice les pièges de la carte postale, Au bout du monde est en effet tantôt romanesque, rocambolesque, picaresque, rêveur et même… musical.

Il serait alors tentant de voir en Yoko, jeune femme reporter qui ne se sent pas du tout à sa place en Ouzbékistan et qui a toujours la tête ailleurs, un autoportrait déguisé de Kurosawa, qui serait comme absent de son propre film. Ce serait trop simple, et surtout ce serait faux, car aussi incongru que paraisse Au bout du monde, il trouve sa place dans une filmographie pas si uniforme qu’il n’y parait. Ce n’est sans doute pas un hasard si le rôle de Yoko a été confié à Atsuko Maeda, chanteuse que Kurosawa avait déjà dirigée dans un autre projet tout autant improbable : Seventh Code. Un projet également né d’une commande (un moyen métrage devant accompagner un clip), et au final une drôle de partie de marelle entre les registres. Dans Au bout du monde, Kurosawa mélange les registres jusqu’à ce que la perte de repères devienne drôle, puis plus drôle du tout, plus curieuse que prévu.

S’ils partagent le même ludisme, Au bout du monde possède plus d’épaisseur que Seventh Code. Atsuko Maeda bénéficie cette fois d’un personnage lui-même plus émouvant. A la recherche de quelque chose qu’elle ne peut décrire, prisonnière du décalage entre ce qu’elle veut être et ce qu’on attend d’elle, Yoko ressemble en effet à une héroïne de Hong Sang-Soo. Même si sa difficulté à communiquer avec son entourage est parfois source d’humour, elle rappelle le désir fou des fantômes habituels de Kurosawa à retrouver le monde des vivants. Yoko est un poids pour son équipe masculine condescendante (il n’y a bien sûr que les hommes à être suffisamment patients pour pouvoir voir le fameux monstre marin) et l’on n’attendait pas forcément ces piques féministes de la part de Kurosawa. Mais avec sa doudoune fluo au milieu des steppes, Yoko n’a pas seulement l’air d’une anomalie : sans même qu’elle s’en rende compte, elle a l’air de sortir d’un autre monde.


>>> Au bout du monde est visible en ligne sur UniversCiné

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article